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actifs, féroces, que chaque tuberculeux porte avec lui ! Quelle inconséquence ! Quelle lamentable insouciance de la vie humaine.

Parlerai-je de la syphilis ? Pourquoi non ? Il n’est pas de pire fléau. Par des règlemens un peu sévères, on pourrait la faire disparaître. Et pourtant, l’homme syphilitique, la femme syphilitique, sont traités avec grand respect. On ne veut pas porter atteinte à leur liberté, comme si le principal usage qu’ils font de leur liberté n’était pas d’empoisonner des innocens.

A tout prendre, un tuberculeux, un syphilitique sont bien plus à craindre qu’un fabricant de dynamite. Mais on n’ose rien faire contre eux ; on leur permet tout : ils n’ont aucune responsabilité, même quand ils sont consciens de leur action funeste. On punit l’homme qui donne un coup de couteau à une drôlesse ; on ne se permet même pas une réprimande, quand il l’infecte de syphilis.

Parlerai-je de l’alcoolisme ? A quoi bon, puisque la cause est entendue ? Il n’est plus personne, sinon les marchands de vin, pour soutenir que l’alcoolisme n’est pas un monstre dévorant nos civilisations. Que fait-on pour le combattre ? Daigne-t-on écouter les médecins qui dénoncent le fléau ? On ne peut pas, sans une ordonnance, acheter cinquante centigrammes de sulfate de quinine ; mais on peut, sans ordonnance, acheter mille hectolitres d’absinthe, et les débiter ensuite, avec de grands profits, à des milliers de consommateurs qui en ressentiront les terribles effets.

Je ne prétends nullement que ce soient là des problèmes faciles à résoudre. Car, pour protéger le public, il faudrait léser de nombreux intérêts individuels. Or soyez certains que ces intérêts individuels vont réclamer avec violence, et réclamer au nom de la liberté. Soyez certains aussi que le public protégé écoutera ces réclamations par ignorance, par insouciance, par incompréhension des choses. Je ne suis donc pas assez naïf pour m’imaginer que ces réformes radicales pourraient se faire sans heurt. Je dis seulement que les faits positifs établis par la médecine sont si nombreux, si certains, si féconds en conséquences, qu’il faudrait, dans les choses sociales, au lieu de diminuer, grandir l’importance de la médecine.

Si donc, devant un tribunal, — le tribunal de l’opinion, — la médecine incriminée avait à comparaître et à se défendre, ne