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du chlore dans une solution de chlorure de sodium. Le problème est plus compliqué ; les méthodes sont différentes : mais la certitude scientifique est la même dans un cas comme dans l’autre.

Même pour la thérapeutique expérimentale, c’est-à-dire l’action des poisons ou des médicamens, la rigueur scientifique est absolue. On peut prévoir les effets d’une injection de chloral, ou de morphine, avec tout autant de précision que ceux d’une irritation électrique, portant sur un nerf. La dose active, la dose mortelle peuvent être déterminées à l’avance ; ce sont faits véritablement scientifiques.

Mais, dès qu’on veut passer de ces données scientifiques, certaines, à l’application pratique, clinique, immédiate, le problème change. Il ne s’agit plus d’une loi biologique inexorable ; il s’agit d’un fait particulier, dont la complication est extrême. Voici un malade qui tousse, qui a de la fièvre. Le médecin l’ausculte ; il constate chez lui les signes d’une tuberculose avancée. Il peut préciser l’étendue de la lésion. Il peut prévoir à peu près la marche future de la maladie. Mais, pour l’institution précise d’un traitement, que de difficultés se présentent ! Il y a l’état de fortune du malade. Il y a les conditions familiales, professionnelles, psychologiques. Le médecin doit tenir compte de tous ces élémens. Et puis, chaque malade a une individualité organique, si bien que tous diffèrent, et que les mêmes médications ne s’appliquent pas indistinctement à tous. Bref, le problème pathologique, déjà très compliqué en lui-même, devient, quand il s’agit de soigner convenablement telle ou telle personne, d’une effrayante complication. Aussi le médecin qui se contenterait d’être très savant en pathologie ne serait-il pas un bien bon médecin ; car il faut autre chose encore que la connaissance approfondie de la pathologie, et même de la thérapeutique expérimentale, pour être un bon médecin. Il faut être très intelligent. Il faut avoir des clartés de tout.

Autrement dit, il ne suffit pas d’être un savant ; il faut être un praticien, un artiste. Les grands cliniciens ne peuvent pas transmettre à leurs élèves l’habileté clinique qui les a rendus justement célèbres : il y a quelque chose de personnel qui disparaît avec eux. Les élèves de Rubens connaîtront les procédés du maître, mais ils ne remplaceront pas le maître : tandis que les élèves de Lavoisier ou de Berthelot, s’ils appliquent exactement