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corporal. En costume pontifical, le Christ lui-même va célébrer la messe, et les anges vont la servir. Au-dessus de l’autel, Dieu le Père trône en gloire, dans un nimbe où plane la colombe, les ailes déployées...

Mais, de toutes les églises de Mistra, aucune ne m’a laissé le lumineux souvenir de la Pantanassa, ou la Reine des reines.

Il faut gravir encore dans la ville morte, au milieu des herbes brûlées, parmi les cailloux des ruelles raboteuses, aux circuits interminables... Nous franchissons le portail : d’un côté de la cour, les bâtimens délabrés d’un monastère, où il n’y a plus aujourd’hui que trois vieilles nonnes ; de l’autre, l’église flanquée d’un campanile carré, et, tout contre, en bordure sur la cour, une terrasse plantée de cyprès. Lorsque nous pénétrâmes dans cet enclos, le soleil de midi incendiait les roches et les pierres, les contours s’enlevaient avec un relief, une intensité presque blessante. La façade dorée et fauve de la basilique, les vertes aiguilles des cyprès, deux pots de fuchsias posés sur le rebord de la terrasse, la robe noire d’une nonne amortissant les blancheurs vibrantes de la lumière, ces contrastes, ces quelques touches de couleurs crues et comme flambantes, dans l’accablement de l’heure, dans la respiration torride de la montagne, cela composait un cadre extraordinaire de splendeur fougueuse et d’immobilité, de paix monacale, de silence et d’anéantissement.

Après une station devant les fresques et les sculptures de l’iconostase, je montai jusqu’à la plate-forme du campanile, où, tout aussitôt, selon les règles de l’hospitalité orientale, une des religieuses m’apporta un verre d’eau et une tasse de café. A chaque coup de brise, les cloches tintaient faiblement au-dessus de moi, la corde oscillait, des souffles chauds passaient en brusques bouffées... Avant même de m’être accoudé à la balustrade, j’avais senti l’immensité d’espace que j’allais dominer de cette hauteur... Une échappée prodigieuse ! Toute la plaine laconienne avec son fleuve de verdures, Sparte, l’Eurotas, les colorations désertiques du Ménélaion, et, dans le lointain, le massif montagneux de l’Argolide !... En me courbant sur ce vide peuplé de tant de poésie et de légende, sur ce paysage fait d’histoire idéale et de tangibles magnificences, j’aurais voulu retenir les minutes, fixer l’émotion trop brève qui me soulevait. Demain, je ne serais plus là !... La tasse des hôtes était encore à mes lèvres, je buvais