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Les herbes sèches embaumaient, les cailloux du chemin, les marches usées des escaliers luisaient en arêtes d’or, au soleil, des grelots de mulets tintaient on ne savait où, vers les hauteurs... Nous atteignîmes enfin la terrasse penchante, où la petite vieille église ratatinée se pelotonne contre le rocher. Un petit mur se haussait devant nous : une porte large comme un trou de souricière nous conduit dans une cour lilliputienne, et, par une autre porte sous laquelle il faut encore se baisser, nous nous glissons dans le minuscule sanctuaire, où les piliers semblent se toucher, où se creusent des absides, des réduits obscurs, des rencognemens bizarres et compliqués : c’est tout le rapetissement et tout le recroquevillement du byzantinisme exprimés en un parfait symbole !... Le mobilier est fruste, l’architecture, lourde et d’apparence presque barbare. Une fadeur de moisissure et d’humidité se mêle à d’imperceptibles odeurs de cire et d’encens qui persistent sous les voûtes enfumées... Rien de tout cela n’offense, on n’y fait même pas attention. Les yeux sont pris tout de suite par les peintures compactes qui recouvrent les murailles. Il n’y a pas un pouce qui ait échappé au pinceau des décorateurs. L’église entière est comme revêtue de tentures, — des tentures très anciennes et délicieusement fanées, qui rappellent les chaudes harmonies de couleurs et la profusion ornementale des tapis d’Orient. Les figures humaines qui s’y pressent sont tellement fourmillantes, tellement serrées, les lignes et les profils s’y entre-choquent en une telle luxuriance que, d’abord, on a l’impression d’une immense arabesque, d’un fouillis de fleurs, de tiges et d’entrelacs végétaux... Et tout cela est si près de vous, si foisonnant, si touffu, il y en a tant de tous côtés, à droite, à gauche, en haut et en bas, que l’on croit se promener entre les pages d’un missel débordant d’enluminures.

On s’approche, les fresques se débrouillent, et l’on s’aperçoit que la plupart des figures sont aveugles. Les Turcs, me dit-on, les ont prises pour cibles et se sont amusés à leur crever les yeux à coups de fusil... Et puis, on regarde plus attentivement, et des scènes bibliques ou évangéliques s’ordonnent peu à peu, se déroulent. La multitude des personnages sacrés et des formes célestes vous obsède, vous halluciné, on est emporté dans une sorte de cauchemar paradisiaque... Voici les anges qui défilent en procession, tenant dans leurs mains les accessoires de la divine liturgie, le disque de la patène, le calice, les linges, le