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lointain, sur une des crêtes. Et, de l’autre côté, en face de nous, par-dessus les sombres entassemens du Taygète, la première étoile s’allume...

J’étais suffisamment familiarisé avec les bourgades de la Grèce moderne, pour que la nouvelle Sparte ne me déçût point. Elle a cinq mille habitans, elle est ornée d’une préfecture, d’une cathédrale et d’un gymnase. Après cela, on a tout dit.

Hâtons-nous pourtant d’ajouter que les Hellènes font tout ce qu’ils peuvent pour donner à leur petit royaume une façade convenable, qui ne prête pas trop à rire aux étrangers. Je ne sais rien de plus touchant, de plus noblement patriotique que la persévérance de cet effort, quelquefois malheureux. Ce n’est pas leur faute s’ils ne sont point riches, et si, dans cette Laconie, cependant facile à cultiver, les hommes sont obligés d’aller chercher fortune en Amérique.

Avec ses grandes rues droites, ses maisons neuves aux fenêtres closes, Sparte m apparut comme une ville à moitié vide et de physionomie fort ingrate.

Malgré tout, je persiste à y voir une résidence charmante, encore qu’un peu chaude et fiévreuse en été. La nature y est si belle !... Je me souviendrai toujours de mon premier réveil à Sparte, lorsque, du balcon de ma chambre, entre les branches d’un figuier, je distinguai, comme un grand voile rose tendu à l’autre bout de l’espace, le Taygète, touché par le soleil levant !... Cette rude masse si délicatement nuancée, ce fond d’horizon vaporeux et tendre comme un ciel d’idylle, — ce fut une de mes plus étranges et de mes plus délicieuses sensations d’aube !...

Autour de la ville, les pêchers, les grenadiers, les mûriers, les champs de pastèques, les plantations de vignes et de maïs s’étendent à perte de vue. On songe à la vallée du Pô. Parmi cette abondance de fruits, sur cette terre verdoyante et regorgeante, comme on se sent loin d’Athènes ! C’est l’irréductible opposition du Nord et du Midi. Pour peu qu’on y mette de bonne volonté, on s’explique tout de suite l’antagonisme des deux villes, on reconstruit sans peine la psychologie vigoureuse et simple des antiques Spartiates... Je les vois très blonds et très sanguins, nourris de légumes et de laitages, taciturnes et brutaux,