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Je récriminais de la sorte sur la route de Tyrinthe à Nauplie. Sans doute, ma déconvenue m’avait irrité, et j’exagérais... Mais, pourtant, je crois n’être que raisonnable, en déplorant que les lieux purement archéologiques ne soient pas le fief exclusif des savans : nous, profanes, nous n’avons rien à voir dans ces salles d’études. Et, d’autre part, lorsqu’il s’agit de ruines ayant une réelle valeur d’art, n’est-il pas souhaitable qu’on les dérobe à d’imprudentes restaurations, qu’on les sauve de la tristesse et de la solitude auxquelles l’archéologie administrative les condamne ? Après que la science a tiré de ces ruines tout l’enseignement possible, qu’on les rende à leur destin ! Si la nature et les hommes sont capables d’en consommer la destruction, ils peuvent aussi leur restituer une vie et une beauté cent fois plus précieuses que la morne intégrité où on les conserve.


VI. — LE 18 AOUT 1806

Une des routes les plus tristes que j’ai parcourues en Grèce, c’est celle qui va de Tripoli à Sparte. Les villages y sont rares, la végétation aussi. Ces montagnes médiocres, ces vallées sans eau n’ont pas la tragique horreur des paysages complètement nus et déserts.

On ne commence à s’intéresser un peu aux choses du dehors qu’à partir du Khan de Vourlia, sans doute parce qu’on sait qu’on se rapproche de Sparte et qu’on ne peut supposer autour de cette ville célèbre une banlieue quelconque.

Nous nous arrêtâmes longtemps à Vourlia. J’avoue que le dernier de mes soucis fut de reconnaître le champ de bataille de Sellasie, qui se trouve, paraît-il, dans les environs. Mon cocher, assommé par la chaleur de midi, s’était couché par terre et ne voulait plus bouger. Je fis comme lui, je m’allongeai sur un bane et j’essayai vainement de dormir, parmi les criailleries d’une bande d’ouvriers qui buvaient dans la salle voisine. Ces modernes Spartiates parlaient anglais, étant nouvellement rentrés d’Amérique, — et je crus comprendre qu’ils invectivaient la Compagnie française des Mines du Laurium, dont le personnel, en ce moment-là, s’était mis en grève. Des journaux démocratiques placardés contre le mur leur fournissaient des argumens. C’est ainsi que je descendis vers Lacédémone, poursuivi par la clameur des revendications sociales.