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de l’Hellade, — puis les chaînes tourmentées et compactes du Péloponnèse, les pics d’Arcadie, le Ménale et le Cyllène. A mes pieds, le chemin de fer d’Argos, qui serpente le long des torrens desséchés, puis la langue de terre de l’Isthme, étalée entre les deux mers comme la courroie d’un ceinturon, dont le canal serait la boucle... Il est midi ! Tout est blanc, d’un blanc laiteux de chaux vive, ou d’un blanc diaphane de cristal. Là-bas, du côté de l’Arcadie, des rouges pâles s’étendent sur les parois incandescentes des montagnes. Un long ourlet de pourpre ondule sur la blancheur crayeuse du Cyllène. Les montagnes fument, comme volatilisées par la chaleur. Les deux golfes sont tout bleus, et si calmes, si transparens, que leur surface unie se confond avec la splendeur insaisissable de l’air, et qu’on ne reconnaît la présence de l’eau qu’aux reflets des roches marines qui s’y répètent du haut en bas, comme dans un miroir. Le double azur du ciel et de la mer, où se découpent les sinuosités des rivages, les buées chaudes qui flottent en amas de mousselines ténues, l’envergure des deux golfes, — tout cela immense, radieux et brûlant, d’une profondeur, d’une grâce, d’une suavité à la Vinci, c’est un matin d’été sur l’Acro-Corinthe !...

La chaleur méridienne est tellement écrasante que je suis obligé de m’abriter derrière un pan de mur. Je regarde aux alentours. Le sol a été fouillé. Des fragmens de colonnes, des morceaux de dallage gisent dans des crevasses. De petites chambres, enfoncées maintenant dans la terre, se succèdent, comme des celliers ou des caveaux funéraires. Je suis sur les ruines du fameux temple de la Vénus Corinthienne, de l’Astarté sémitique intronisée ici par les marchands de Tyr et de Sidon. Selon la coutume asiatique, un collège d’hiérodoules était chargé de la servir, et mille courtisanes attachées au sanctuaire partageaient avec eux les fonctions et satisfaisaient aux exigences du culte.

Le com d’ombre où je me repose fut peut-être la cellule d’une de ces étranges prêtresses. Quel endroit suggestif pour les songeries de la sieste !...

Elles obsèdent mon imagination, ces courtisanes de Corinthe, dont le renom et les mérites furent si grands que Pindare lui-même, le maître du sublime, ne dédaigna pas de les chanter. Il