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pu s’évanouir, l’âme de ses marins est toujours vivante, identique à elle-même, comme les élémens qui l’ont façonnée, — l’eau, le soleil, le vent, — éternelle comme les séductions de Circé l’Enchanteresse !...

Nous débarquons en Aulide. C’est le désert !... Une mince bande de sable, puis des champs moissonnés, envahis de chardons et d’herbes fanées, puis la ligne du chemin de fer, et, par derrière, des monticules blanchâtres tachetés çà et là de broussailles poudreuses. Tout au fond, à un kilomètre de la plage, s’élève une misérable chapelle de Saint-Nicolas entre deux ou trois cyprès. Ces pauvres arbres, est-ce tout ce qui reste du bois sacré de Diane ? En tout cas, s’il faut en croire les savans, la déesse aurait eu son temple à proximité de la chapelle, sur l’éminence voisine. J’y grimpe, je me heurte à d’insignifians décombres, qui semblent indiquer, en effet, les substructions d’un édifice ancien, et, du haut de cette butte, j’embrasse le calme paysage de la mer et des montagnes de l’Eubée. Le soleil se couche, l’ombre descend peu à peu sur les roches grises et nues, sur les champs moissonnés. Cette solitude est d’une âpreté et d’une tristesse mornes... Ah ! Iphigénie en est bien absente ! Je cherche autour de moi quelque chose de féminin qui me la rappelle, — une fleur, un coquillage... Les pierres sont vert-de-grisées, comme si elles avaient trempe dans un bain de cuivre, et il n’y a pas de fleurs ! Rien que des chardons, des corolles grasses, hérissées de piquans et recourbées en lames de coutelas. Je finis par cueillir quelques brindilles cassantes, terminées par de petites boules cotonneuses, qui ressemblent aux edelweiss... Une plante d’herbier, décolorée et sèche comme le souvenir de la Vierge qui dut être immolée à cette place, voilà tout ce que je rapporte de ma visite à Aulis...


Mais le retour fut triomphal.

Notre barque était seule sur la mer vide, embrasée et froide... L’eau molle glissait autour du bordage, — bain d’essences précieuses où se dissolvent des pierreries, — et l’on coulait dans une lumière d’or, si voluptueuse et si dense qu’on la sentait ruisseler sur son visage et sur ses mains, en une tiédeur de pluie. Entre la lune pleine qui montait et le soleil descendu derrière les cimes de Béotie, le ciel violet était tout vibrant des poussières du crépuscule, et, par delà cette zone ardente, l’éther