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Je me retourne encore une fois vers les deux sœurs aux chapeaux si joliment chiffonnés, et je me sens tellement ébranlé que je n’ai plus du tout le désir d’aller à Aulis, pour voir Iphigénie... Et puis un scrupule méprend, avec un vague espoir de découvrir des choses extraordinaires, et j’y vais tout de même !...


Je commençai par en être puni. A peine avais-je mis le pied dans la barque qui devait me conduire en Aulide, qu’un policier surgit, m’intimant l’ordre de le suivre. La veille au soir, on avait crocheté et dévalisé le coffre-fort d’un négociant de l’endroit. Comme j’étais un inconnu, qu’on ne savait ni d’où je venais ni où j’allais, comme enfin je portais un costume kaki, la rumeur publique m’accusait d’avoir fait le coup... Je dois ajouter d’ailleurs que je fus relâché au bout de dix minutes, avec les plus plates excuses.

. Je retrouvai, sur le quai, mes bateliers très intrigués de mon aventure et devenus très méfians. On a beau être relâché par la police, il vous reste un opprobre d’être passé par ses mains. Mais je n’étais pas au bout de mes tribulations. Lorsque je parlai d’Aulis, les deux hommes s’entre-regardèrent d’un air hagard. En vain, répétai-je le nom illustre, en le prononçant à la moderne, — Avlis ! Avlis ! — ils paraissaient ne pas le connaître. « Et voilà la gloire ! » me disais-je... Mais je réfléchis qu’il y a au moins une lieue entre la mer et le village actuel d’Aulis. Impossible de s’y rendre en barque : de là les hésitations des bateliers !... Alors, où devaient-ils me mener ?... J’avoue que je ne savais trop. Soudain, pris d’une inspiration, l’un d’eux me demanda :

— Le Petit-Creux ou le Grand-Creux ?

A tout hasard, je répondis :

— Le Grand-Creux !

Et les rames se levèrent !... C’est égal ! Cette appellation vulgaire me rendait rêveur sur le destin des lieux historiques. Avoir vu le Roi des rois dans toute sa gloire, avoir été célébré par tous les poètes de l’Hellade, — et n’être plus que le Grand-Creux, comme n’importe quel trou à poissons !...

Nous traversâmes d’abord la baie de Chalcis, exiguë et arrondie, toute pareille à un lac de jardin public festonné de montagnes suisses, puis un goulet très resserré, puis une anse