Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/565

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et Fouché approuva. Nuire, auprès du public, à une police rivale, faire suspecter d’imbécile maladresse les agens officieux qu’employait le Consul parut au maître fourbe une fort heureuse combinaison. Ce fécond inventeur de tant de gabatines trouvait beaucoup d’esprit à cette Mme Hamelin... Eh bien, soit ! entendu ! On allait, jusqu’à nouvel ordre, coffrer la citoyenne Adeline : six mois passés aux Madelonnettes ne pourraient endommager son galant renom. Fouché exigeait, cependant, que Fournier reconnût exacte la menteuse version ; qu’il accusât Adeline, et devînt ainsi responsable de l’arrestation arbitraire... « Puisqu’il vous aime, madame, obtenez de lui qu’il songe enfin à votre réputation... »

Alors, dans le cabinet du ministre, et sur une feuille de papier à filigrane de la police. Mme Hamelin écrivit. Sa lettre existe encore, tout ingénue en sa perversité :

« Monsieur Fournier, le ministre, plein de bonté, a pitié de moi et des chagrins affreux que l’éclat qui vient d’avoir lieu doit me donner. Il est convenu de dire que vous avez été arrêté, rue Vivienne, chez la fille Adeline. Dites la même chose. »

Un exprès fut envoyé au Temple, porteur de la répugnante missive, et, en attendant la réponse. Mme Hamelin alla s’installer dans le bureau de Desmarest. Quelques heures s’écoulèrent, fiévreuses, pour elle, et angoissées. La réponse enfin arriva : elle était d’une amusante impertinence :

« J’éprouve une consolation dans mes infortunes ; c’est que vos chagrins sur mon arrestation chez vous soient un peu calmés. Je vous rends de nouveau grâce de l’intérêt que vous m’avez témoigné. Mais je ne veux point passer pour avoir été arrêté chez une fille. Arrangez-vous donc autrement... »

Réplique du berger à la bergère, Fournier l’avait écrite sur le billet même, envoi de Fortunée. C’était un dédaigneux refus, une rupture sans plainte, ni reproches, — les adieux du mépris : la bien-aimée n’avait plus, hélas ! qu’à souffrir ou qu’à se consoler...

Elle se consola.

Ainsi finirent les célèbres amours de François Fournier, colonel de hussards, et de Jeanne-Fortunée Hamelin, femme politique. Commencés en ventôse, à la fonte des neiges, ils s’achevaient en floréal, à la naissance des lilas : soixante jours de durée à peine. Mais en ces temps de liaisons éphémères, de