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coucher dans la fraîcheur de cette annexe. Sa chambre, d’aspect bizarre, au dire de ceux qui la fréquentèrent, n’avait rien du gynécée antique, et devait par son exotisme choquer les regards d’un Jacob, le tapissier des merveilleuses. Ni grecque, ni étrusque, ni pompéienne, mais d’un baroque tout oriental ! Des tentures, étoffes de l’Asie, en garnissaient les murailles, et la structure de leurs panneaux donnait à ce réduit l’apparence d’une tente arabe, d’un harem au désert. Le lit, pourtant, était au goût du jour, à la Gérard, sans courtines, de forme classique ; pulvinar de déesse, couche à la Récamier, — moins virginale, toutefois, et plus large sans doute. Indolente, voluptueuse, aimant le far niente du pays natal, ses somnolences et leurs songeries, fatiguée d’ailleurs par tant de bals, de concerts, de réceptions mondaines, la créole passait entre deux draps ses grasses matinées. Une indiscrétion malveillante nous a décrit le déshabillé que revêtait alors cette nonchalante pour recevoir ses visites : veste à la turque, permettant d’entrevoir les formes graciles d’une si fluette petite personne, fanchon de soierie voyante, faisant valoir son teint doré, ses yeux noirs chargés d’étincelles, ses cheveux ondulans et quelque peu crépus. « Un bouledogue coiffé d’un madras ! » s’est écrié ce malappris de Bonneval ; mais les admirateurs de la dame, — et ils étaient nombreux, — jugeaient tout autrement l’affriolante laideur du « premier polisson de France. « 

Donc, le 15 floréal, au matin, bien avant l’heure de son lever, la languissante Mme Hamelin fut tirée brusquement de ses rêvasseries : son amant venait de faire irruption dans la chambre mauresque.

Fortunée ne l’attendait pas. Meurtri par sa chute de cabriolet, le colonel avait gardé le lit durant plusieurs jours, et son amie le supposait encore malade. Peut-être, pendant la fièvre qu’occasionnait sa courbature, avait-il espéré voir accourir, émue, toute palpitante, la bien-aimée ; mais la bien-aimée n’avait pu venir. Trop d’impérieuses obligations lui prenaient son temps, absorbaient ses journées : promenades aux Tuileries, cavalcades au Bois de Boulogne, collations de l’après-midi, dîners en ville, bals, concerts, spectacles nouveaux ; pas un seul moment de répit pour écouter la voix de son cœur ! Ce cœur, du reste, ce tendre cœur, commençait à se raisonner. Bel homme, assurément, le hussard, dans son dolman marron et sous la pelisse