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lieu de délices attirait toute la badaudaille. Le jour, il exhibait de merveilleux spectacles : athlètes, magiciens, joueurs de gobelets, danseuses de corde, aéronautes, femmes invisibles, chèvres acrobates ; le soir, on y dansait, et, vaguant à travers les bocages, la dryade chercheuse, la raccrochante hamadryade, y lutinaient le faune parisien comme le satyre venu de Carpentras. Mais plus haut, le désert commençait, monotone et morose : des murs, des murs encore que surplombait l’épanouissement des arbres. Les pensionnats abondaient dans ces taciturnes contrées ; même une institution de jeunes filles s’était venue nicher dans les lilas qui avaient parfumé jadis la chartreuse de Mme Coupé, ingénue des coulisses, vertu de l’Opéra. De murailles en murailles, on arrivait ainsi aux portes d’une barrière que flanquait un temple dorique : le logis des gabelous, employés de l’octroi. Au delà, le boulevard extérieur, ses terrains vagues, ses enclos maraîchers. Aucune voie transversale n’interrompait l’ombreuse continuité de ce quartier désert, et son large triangle formait un vaste parc, découpé en de nombreux jardins... Apaisante solitude, les rumeurs de Paris n’y parvenaient qu’à peine. Le jour, de rares passans, parfois quelques voitures, gravissaient les raidillons de son escarpement ; mais la nuit, quand les trombones de Tivoli ne scandaient plus ! ès contredanses, c’était en ces pays perdus un grand silence de petite ville, un paisible et profond sommeil de cité provinciale.


L’hôtel qu’habitait Mme Hamelin était situé en face de Tivoli. Construite, au temps jadis, par un fervent de la passade, le maréchal de Richelieu, cette jolie maison à maîtresse s’élevait au milieu des parterres, discrète et enveloppée d’épais massifs. Son jardin, aux marronniers touffus, montait en pente rapide, et deux portes d’entrée y donnaient accès sur les rues Blanche et de Clichy. Rien n’existe plus, à présent, de cette chose menue et fragile ; mais on peut aisément en évoquer le gentil fantôme.

D’ordonnance néo-grecque, style en faveur à la fin du XVIIIe siècle, le pavillon de forme carrée se composait d’un seul étage, avec toiture à l’italienne, et une construction plus récente, simple rez-de-chaussée, joignait, le complétant, ce trop étroit logis. Au printemps, Mme Hamelin installait sa chambre à