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Ninus exprimait à tue-tête ses douloureux remords. La salle était brillamment composée. Toutes les « élégances de la première classe » s’y étaient donné rendez-vous, et du parterre aux bonnets d’évêque s’étageaient, en chatoyante diaprure, de pimpantes et printanières toilettes. Pour cette soirée de floréal, les merveilleuses avaient inauguré une mode nouvelle. Plus de turbans sur les têtes de ces Malvina, mais des réseaux à mailles pailletées d’or ou d’argent. Leurs robes, à tailles courtes et longues traînes, étaient de purs chefs-d’œuvre de couturières. Sur le satin laiteux de ces tissus, de savans pinceaux avaient « appliqué » soit des fleurs tombant en guirlandes, soit des « rosaces, » de « bleu anglais, » nuancées d’argent. Une profusion, un dévergondage de bijoux : colliers, diadèmes, bracelets, pendans d’oreilles, — à la grecque, à la romaine, à l’étrusque, à l’égyptienne ! Ajustées de la sorte, ces déesses, pour la plupart d’anciennes gotons, étaient en outre maquillées. Plusieurs couches de fard blanc, — l’invention de Mme Récamier, — empâtaient leurs visages, et prêtaient à ces femmes sensibles le teint blafard d’une Atala déposée au tombeau. Ce beau monde avait, cependant, d’assez vilaines façons. Dans les loges, ni silence, ni tenue, aucun égard pour le plaisir des autres : on causait à voix haute, on recevait des visites, on prenait le thé, on s’offrait des collations. Parfois, les grincheux du parterre s’impatientaient et, pour faire cesser le tapage, tapageaient à leur tour : « Chut ! chut ! silence ! A la porte, Caquet bon-bec ! » Ailleurs, c’était une reine Gillette qui, redoutant un rhume, avait conservé, sur son décolletage, le cachemire brodé d’or, sa sortie d’Opéra. Des voix l’apostrophaient, gouailleuses : « Le châle ! Au vestiaire, le châle ! Nous aimons voir le nu !... » Au surplus, de pareilles joyeusetés égayaient chaque soir tous les théâtres parisiens, où grivois, moqueurs, et parfois spirituels, les spectateurs étaient plus amusans que le spectacle.

Malgré les pronostics des gens bien informés, aucun charivari n’avait troublé encore la représentation de Sémiramis : la cabale paraissait vaincue, sans même avoir livré combat. Tacticien avisé, le préfet de police Dubois avait, le matin même, pris ses mesures pour la victoire, requis deux cent cinquante billets de faveur, invité ses agens à trouver admirables la voix, le jeu, le galbe du petit protégé d’Hortense Bonaparte, et à clamer bien haut leur émerveillement. De féroces commissaires, assistés