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l’homme incriminé avait, depuis longtemps, quitté Paris. »

Déçu dans son espoir, mortifié en son amour-propre, l’informateur sortit, dépité. Mais à peine se fut-il éloigné que soudain son intraitable chef ressentit de vagues inquiétudes... « Après tout, ce cher Donnadieu n’était pas toujours un modèle de sagesse ! Peut-être avait-il commis force sottises nouvelles, peut-être aussi connaissait-il quelque vilaine histoire qu’il avait perfidement celée à son protecteur ! En tout cas, mieux valait avertir Desmarest... » Davout envoya donc d’urgence un pressant avis au chef du « Bureau particulier, » directeur des « Affaires secrètes, » et l’alter ego du ministre Fouché. Il s’adressait à un fort habile homme. Nul artiste de police, — nous le verrons bientôt, — n’avait plus de maîtrise que cet ancien curé pour pressentir et confesser, mettre à nu et bien « cuisiner » une conscience pécheresse.

Mais le hautain Davout avait eu grand tort d’humilier ainsi Dossonville. Il dédaignait par trop l’astucieuse assistance d’un pareil aigrefin, et n’en soupçonnait pas la belle science de gibecière. Bien qu’assez brutalement éconduit, le madré citoyen ne pouvait renoncer au jeu d’une attrayante partie. Il sentait qu’à cette heure la volage Fortune lui faisait d’agaçans sourires, et le galant la voulait posséder. D’ailleurs, les injurieuses méfiances du général Davout laissaient indifférente son âme philosophique...

Tout en regagnant sa rue des Petits-Carreaux, cet homme d’esprit délié raisonnait... Et d’abord Donnadieu avait-il réellement quitté Paris ? Non ! il avait dû conter une bourde à son général. Le dragon, au dire de La Chevardière, logeait dans la maison meublée que dirigeait Sergent-Marceau. Eh bien ! on irait prendre l’air de la gargote politiquante, on y demanderait à voir Donnadieu, on causerait avec l’officier, on saurait bien, — que diable ! — lui soutirer ses grands et ses petits secrets ! Un jeu d’enfant pour un causeur habile, et mordieu ! l’on était habile !

Rentré chez lui, Dossonville se déguisa. Habitué à ces sortes d’expéditions, il ne répugnait pas aux savans « camouflages, » aux ingénieux costumes de cache-museau. C’était un psychologue, et nous connaissons le détail de son subtil accoutrement : bicorne, polonaise, bottes hongroises, cravache de maquignon : à officier de cavalerie, marchand de chevaux pour visiteur !... Attifé de la sorte, il se mit en campagne.