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plus folâtres, avec ses coins et recoins galans, ses cabinets privés et ses discrets boudoirs, le Salon des Arcades avait une clientèle de choix... La Fortune et l’Amour ! C’était le paradis des pontes.

Chaque soir, on voyait entrer dans ce brelan modèle un homme d’assez haute taille, quadragénaire aux cheveux châtains, à la face rasée, rougeaude et brûlée par le hâle, à l’air paterne, à la tournure vulgaire, mais à l’œil futé, curieux, observateur. Musardant d’habitude et vaguant par les salles, rarement ce personnage risquait sur un tableau son écu de cent sous ; de préférence, il regardait. Il regardait en sage les amusantes physionomies de tant de brusqueurs de fortune, connu d’eux et les connaissant, échangeant d’amicaux sourires, et souvent, tout aimable, s’en allant consoler quelque joueur malheureux. Alors, au buffet du tripot, devant le guéridon de marbre on dégustait ensemble le moka, la bière allemande, ou la « glace au beurre, » et l’on conversait. La causerie politique semblait être une des manies de ce flâneur. Il bavardait avec esprit, jovial, caustique, toujours très au courant des mille pati-pata qui circulaient en ville. Du reste, admirant peu le gouvernement consulaire, il exprimait avec franchise son aversion pour Bonaparte. Sa verve triviale, son amusant bagout, s’épandait bruyamment sans souci des mouchards, et même, en son dédain pour les cachots de Pélagie, il osait se permettre d’enthousiastes dithyrambes célébrant les Bourbons : un partisan du Roi, assurément !... Les royalistes, habitués du Salon, lui faisaient donc d’affables risettes : Dossonville, ce bon, cet excellent Dossonville ! » ou bien encore : « le vaillant, le chevaleresque monsieur d’Ossonville ! » Et volontiers, le cher homme se laissait ainsi anoblir.

Issu, pourtant, de la plus infime roture, croquant beauceron, fils d’un villageois d’Auneau, ce monsieur tant cajolé par les ci-devant avait exercé jadis de peu nobles métiers. Sa vie passée n’était qu’une extravagante aventure, qu’un bizarre, pittoresque, voire picaresque roman. Laquais d’abord, plus tard limonadier, puis devenu policier de la République, Jean-Baptiste avait naguère été un personnage parmi les citoyens à « souliers pointus, » un agent d’importance dirigeant les exploits de la Rousse, Sa police, toutefois, s’était pratiquée de fantasque manière, — perfide, fraudeuse, félone au gouvernement qui la salariait. Fonctionnaire de la Nation, mais la desservant sans