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VIII

Notre conduite continue d’offrir un contraste saisissant avec celle du chancelier prussien. Nous nous montrons aussi préoccupés du soin de ne pas éveiller les susceptibilités allemandes que lui est ardent à provoquer les nôtres.

La Tour, député, m’ayant manifesté son intention de nous interpeller sur l’affaire des Danois du Sleswig, j’obtins qu’il y renonçât. Après les discours prussiens sur le Saint-Gothard, nous ne nous demandâmes pas pendant quelques jours, comme l’a prétendu Busch, si nous ferions de cette affaire un prétexte de guerre : nous n’en délibérâmes même pas, nous décidâmes que nous ne nous en occuperions pas. Ce fut sans nous avoir même avertis qu’un ingénieur distingué, Mony, annonça tout à coup qu’il interpellerait le gouvernement « sur l’entente qui vient de s’établir entre l’Italie, la Suisse, le grand-duché de Bade et la Confédération du Nord pour la construction du Saint-Gothard. » (Très bien ! fit-on sur plusieurs bancs.) — « C’est une grosse question, » s’écria quelqu’un. Et le mouvement fut tellement marqué que, quoique le règlement défendît d’ajouter aucun commentaire au dépôt d’une interpellation, Mony crut devoir prendre la parole pour le calmer : « Je sais parfaitement, dit-il, ce qu’il y a de délicat dans la question que mon interpellation soulève ; la Chambre peut compter que j’y apporterai toute la réserve et toute la prudence nécessaires (9 juin). »

Cette interpellation me contraria fort. Je le manifestai avec quelque vivacité à son auteur sur le seuil de la salle des séances. Mony, blessé, me riposta avec non moins de vivacité ; un cercle se forma autour de nous, et devant un groupe nombreux de députés, j’expliquai les motifs de mon émotion : « Mon cher collègue, vous vous méprenez ; je n’ai pas voulu vous offenser ; mais je m’étonne de votre interpellation qui est on ne peut plus inopportune. — Il n’est jamais inopportun, me dit-il, d’appeler la lumière sur une question mal connue, et qui, surtout pour cette raison, éveille si fortement les susceptibilités publiques. Vous venez de voir l’impression de la Chambre. — Je vous affirme, réponds-je vivement, que la question ne vient pas en son temps ; elle blessera l’Allemagne et bien inutilement