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friponnerie plus effrontée, le jour même où il sollicitait la conversation confidentielle avec l’Empereur, il dépêchait Salazar à Sigmaringen pour aller prendre le consentement de Léopold et le rapporter aux Cortès qu’il devait jusque-là tenir réunis sous sa main.

Le 19 juin, Salazar était arrivé à Sigmaringen avec un secrétaire. Comme il ne parlait pas allemand, Versen vint leur servir d’interprète. Léopold eût voulu remettre son élection à l’automne. Salazar lui expliqua l’urgence d’accélérer la solution : les Cortès étaient réunies et attendaient sa réponse ; il n’y avait pas un instant à perdre. Il ne restait plus aux princes, convaincus par Salazar, qu’à accomplir la dernière démarche indispensable aux termes du statut de famille dont ils ne se sont jamais départis, et Léopold demanda au Roi, alors à Ems, son assentiment. Il insiste sur le sacrifice qu’il fait à la gloire de sa famille et au bien de son pays. Le prince Antoine écrit lui-même et prie le Roi d’approuver la résolution de son fils. Ces lettres sont portées à Ems par Salazar et Versen. Salazar a prétendu que le Roi, « qui n’avait pas jusque-là entendu parler de cette candidature, se montra fort surpris. » Sans les révélations justicières de Charles de Roumanie, cet impudent mensonge serait devenu une vérité historique. Versen raconte, et ceci est vrai, qu’au moment suprême de couper le câble et de lancer l’affaire en pleine tempête, « le Roi eut de grands combats intérieurs. » Sa conscience inquiète, livrée à elle-même loin de Bismarck, apercevait les calamités que d’un mot il pouvait retenir ou déchaîner. Il n’eut pas le courage de son honnêteté et il accorda l’approbation fatale.

Salazar avait annoncé à Prim l’acceptation du prince, sous la réserve de l’assentiment du Roi. Cet assentiment obtenu, il télégraphie au président des Cortès que lui-même arrivera à Madrid le 26 juin ; « que l’élection aura lieu aussitôt et qu’une délégation de quinze membres des Cortès se rendra à Sigmaringen pour offrir solennellement la couronne au prince héritier. »

Maintenant tout est prêt. Chacun des complices est à son poste. Salazar traverse la France avec le brandon qui va la mettre en feu. Dès qu’il sera arrivé à Madrid, l’explosion aura lieu. Personne ailleurs ne soupçonne le drame à la veille de se dérouler.