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par conséquent rien de blessant pour la fierté espagnole. Toutes les fois qu’il a été question de ce projet devant moi, j’ai fait comme tout le monde, j’ai eu l’air de ne pas le prendre au sérieux, laissant entendre qu’il serait impossible que le sentiment national en France le laissât passer[1]. — Quant à Prim qui, lorsqu’il s’agit, non de faire, mais d’empêcher, est réellement très puissant, je m’arrange pour qu’il connaisse mon sentiment. »

Le lendemain, 25 juin, Mercier revient sur les mêmes considérations : « Prim m’a encore parlé de son voyage à Vichy et de son espoir d’entretenir l’Empereur en particulier, lorsqu’il passerait par Paris dans un mois. « J’ai grand besoin, m’a-t-il dit, d’avoir une bonne conversation avec Sa Majesté, et j’espère aussi que, cette fois, l’Impératrice voudra bien me recevoir ; si elle m’en donnait l’occasion, je lui dirais toute la vérité sur le prince Alphonse à qui je sais qu’elle s’intéresse. » Tout cela évidemment m’était dit pour être répété et avec l’intention que l’Empereur fût averti, afin que Sa Majesté lui facilitât les moyens d’écarter Olozaga sans le blesser. Je me figure aussi, comme je vous le disais hier, que, pour qu’il tienne tant à cette entrevue, il faut qu’il soit bien persuadé que l’Empereur ne pourra en conserver aucune impression désagréable. Je n’ai d’ailleurs rien appris de nouveau sur la candidature Hohenzollern. Si on s’en occupe réellement, c’est très en secret, et personne ne s’en doute. »

Gramont, tout à fait rassuré, heureux d’éviter un heurt avec la Prusse, n’adressa pas à Berlin l’interrogation que l’Empereur lui avait demandée et qu’il jugeait inutile, puisque tout devait prochainement se régler à Paris avec Prim. Et l’Empereur lui-même s’abandonna de nouveau à la confiance que lui inspiraient ces excellens Hohenzollern, amis si chers et protégés de sa fidèle Hortense.

Prim était pressé d’en finir. Il fallait que son prince fût intronisé avant l’époque indiquée pour sa visite à Paris, qu’il était décidé à ne point faire et qu’il annonçait fallacieusement afin d’endormir les vigilances éveillées par l’indiscrétion transparente de son discours aux Cortès. Aussi ne perdit-il pas un moment. Terminant la longue série de ses tromperies par une

  1. Cela est confirmé dans les Mémoires du prince de Hohenzollern : « L’ambassadeur de France à Madrid, Mercier, ne voit pas la candidature Hohenzollern d’un œil favorable. » (3/15 février 1870.)