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mais comme il serait possible que la majorité des Cortès en eût un, dans votre haute sagesse vous apprécierez et vous prendrez la détermination que vous croirez convenable et conforme à l’esprit patriotique et aux sentimens des dignes membres des Cortès. »

Prim, en déférant la négociation aux Cortès, en les rendant arbitres de la question, mettait en demeure les partisans des diverses candidatures de les produire et de les soumettre au vote : s’ils se taisaient, il acquérait le droit de leur dire que, par leur silence, ils en avaient reconnu l’impossibilité. Enfin, en voilant son espérance, il excitait l’impatience publique, la préparait à sa solution, lui en donnait d’autant plus le désir qu’il en précisait moins l’heure. Cette manœuvre réussit à souhait dans le Parlement. Nul, en effet, ne proposa de candidat ou ne souleva d’objections contre le candidat montré et caché mystérieusement. Le chef éloquent de l’Union libérale, Rios Rosas, comprenant les réticences du général, seconda ses intentions secrètes : « Puisqu’une négociation était pendante, ni lui ni ses amis ne la troubleraient, pas plus qu’ils n’avaient troublé les précédentes. L’Union libérale n’a pas de candidat, elle n’a qu’un désir : qu’on lui donne un roi quelconque le plus tôt possible. »

A ne considérer que l’action préparatoire à exercer sur le Parlement, afin que, n’étant pas tout à fait instruit, il ne fût pas tout à fait surpris, ce discours était peut-être habile. Mais il constituait un manquement incompréhensible au secret convenu, car tous pouvaient mettre le nom sur la désignation anonyme. En effet, à ce passage du discours, Mercier s’était penché vers l’oreille de John Lemoinne, rédacteur des Débats, de passage à Madrid, et avait dit : « Il s’agit de Léopold de Hohenzollern. » Prim, en donnant au fait le caractère rétrospectif d’une candidature abandonnée, avait cru, sans doute, sa révélation aux Cortès sans inconvénient vis-à-vis de nous. C’est dans ce sens que Mercier, en écrivant le lendemain à Gramont, commente la séance : « Prim causera avec l’Empereur dans le voyage qu’il doit faire à Vichy, dans le courant de juillet, et si ce n’est déjà fait, il pourra mettre Sa Majesté au courant de ce qui s’est passé avec le prince de Hohenzollern dont il n’a pas voulu prononcer le nom dans les Cortès. »