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que le candidat réunît un nombre de voix supérieur à la moitié des députés élus : soit 178, chiffre que Montpensier était certain de ne pouvoir atteindre. Prim vota pour le projet de la Commission, mais poussa ses amis à voter contre. Le fléau de la balance oscilla longtemps. Le scrutin prit un caractère dramatique lorsque vint le tour de la Gauche. Le leader démocrate, Martos, vota non, puis Castelar, Orense, Figueras ; les non pleuvaient. Lorsque le président Ruiz Zorilla eut aussi voté non, il y eut une tempête d’applaudissemens, de félicitations, d’embrassades. Le projet était repoussé et l’amendement Arias voté (7 juin) ; la défaite de Montpensier était si décisive que ses adversaires renoncèrent à une démonstration antimontpensiériste annoncée. Rios Rosas déclara, au nom de l’Union libérale, que celle-ci accepterait maintenant tout candidat de la majorité. Montpensier cependant eut un dernier soubresaut. Il vint à Madrid : « Il m’est impossible, dit-il à Serrano, à Izquierdo et à d’autres généraux unionistes, de renoncer, pour des raisons générales et personnelles : le pays serait en proie à l’anarchie. » Puis il avait tant annoncé son succès aux Cabinets européens que, ne voulant pas s’exposer à un ridicule irrémédiable, il devrait plutôt se mettre à la tête d’un pronunciamiento et tout risquer. Izquierdo acquiesça, mais Serrano résista : on irait au-devant d’une défaite ; un pronunciamiento ne pouvait réussir que si on laissait chanter l’hymne de Riego[1], ce que le duc ne pouvait faire. Il finit par entendre raison et gagna tristement l’étranger.

À ce moment, Salazar arriva de Sigmaringen porteur de l’assentiment tant désiré. Prim accepta le plan de Bismarck, l’époque fixée, et se mit d’accord avec lui sur les moindres détails. Il y avait comme une entente générale pour le laisser se mouvoir en silence parmi ses intrigues. « Les Cortès, disaient les républicains, n’étaient plus qu’une assemblée d’ombres. » Tout à coup Prim, annonce qu’il va s’expliquer. Les députés accourent ; ils attendent des révélations sensationnelles. Canovas au début de la discussion arbore le nom du prince des Asturies que personne n’osait prononcer : si la question monarchique pouvait être résolue par les sympathies et le jugement d’un seul homme, il ne craindrait pas de dire : « Ici, dans mon cœur, ici,

  1. La Marseillaise espagnole.