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préparation et la rapidité de l’exécution ont frappé les esprits et » ranimé la confiance en Abd-el-Aziz. S’il portait encore quelques coups du même genre, sa situation pourrait se modifier grandement. Toutefois, la prise de Saffi n’a pas produit une impression aussi vive qu’elle l’aurait dû : on a annoncé le fait et on n’en a plus parlé. Ce silence avait de quoi surprendre et nous nous demandions à quelle cause il fallait l’attribuer, lorsque des nouvelles complémentaires ont présenté l’occupation de Saffi sous un jour nouveau. On disait que les soldats d’Abd-el Aziz, une fois débarqués dans la ville, avaient fait défection et étaient passés à l’ennemi. On ajoutait qu’ils appartenaient presque tous à la région environnante, et qu’ils n’avaient pas tardé à se débander. Nous ignorons dans quelle mesure il faut, se lier à ces récits ; mais ils n’ont été ni démentis, ni rectifiés, et l’opinion reste incertaine et troublée, sans que personne se donne la peine de l’éclairer. Si les Chambres avaient été réunies, on aurait demandé au gouvernement des explications sur ce point et sur quelques autres, et bien que nous sachions la confiance toute relative que méritent les vérités officielles, nous aurions aimé à en recueillir le témoignage.

On a dit encore qu’à un certain moment il nous aurait été facile, si nous l’avions voulu, de mettre la main sur Moulaï-Hafid et de terminer, par cet acte décisif, la guerre entre les deux frères. Moulaï-Hafid s’était beaucoup rapproché de nos colonnes, et la crue subite d’une rivière lui rendait la retraite impossible. Cette fois encore, nous ignorons ce qu’il faut croire de l’anecdote ; mais, si elle est exacte, nous regrettons médiocrement qu’elle n’ait pas eu un autre dénouement. On aurait pu s’emparer de Moulaï-Hafid ; soit, et après ? Croit-on, vraiment, que la guerre aurait pris fin aussitôt, et qu’Abd-el-Aziz, débarrassé de la concurrence fraternelle, n’aurait eu qu’à entrer à Fez, où il aurait été reçu en triomphateur ? Les choses marocaines ne sont pas aussi simples que cela. D’une manière générale, — nous l’avons dit déjà, — on donne à Moulaï-Hafid beaucoup plus d’importance qu’il n’en a en réalité. Lorsque nous éprouvons une déconvenue quelconque, lorsqu’il nous arrive un accident inopiné et fâcheux, lorsque des troubles inquiétans se produisent dans le Sud-oranais, ou encore lorsque Abd-el-Aziz, au moment d’entrer en campagne à la tête de ses troupes, réfléchit subitement et se décide à ne pas bouger, nous mettons tout cela sur le compte de Moulaï-Hafid ; et la liste des griefs que nous, avons et que son frère a contre lui, grossit démesurément. Mais n’y a-t-il pas quelque fantaisie dans ces