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fin à ce projet. Je me demande, à présent, si je ne vais pas essayer de publier mon poème par souscription, avec l’appui de la Cour. Mais je suis las des cours, mon Thieriot ! Tout ce qui est roi, ou qui appartient à un roi, fait horreur à ma philosophie républicaine ; et je ne veux pas boire la moindre goutte d’esclavage dans le pays de la liberté ! » Puis il invite affectueusement Thieriot avenir le rejoindre :


De votre pays, je n’espère ni ne crains plus rien. Mon unique désir est de vous voir, un jour, à Londres. Je me nourris de cette charmante espérance. Si ce n’est qu’un rêve, laissez-moi en jouir sans me décevoir ! Laissez-moi penser que j’aurai le plaisir de vous voir à Londres, respirant le vigoureux esprit de cette nation indéfinissable ! Vous comprendrez mieux leurs pensées, lorsque vous pourrez vivre parmi eux. Vous verrez un peuple épris de sa liberté, instruit, spirituel, méprisant la vie et la mort, un vrai peuple de philosophes. Non pas qu’il n’y ait quelques sots en Angleterre : chaque pays a ses fous. Et peut-être la folie française est-elle plus plaisante que la folie anglaise : mais, par Dieu ! la sagesse anglaise et l’honnêteté anglaise sont au-dessus des nôtres. Un jour, je vous ferai connaître le caractère de ce peuple bizarre : mais, aujourd’hui, il est temps de mettre un terme à mon bavardage anglais !


M. Churton Collins a recueilli, dans le même volume, deux autres études biographiques, consacrées aux séjours en Angleterre de Montesquieu et de Rousseau. La première, à dire vrai, s’adresse surtout aux lecteurs anglais, ne contenant presque rien qui ne soit tiré des écrits, déjà publiés, de l’auteur des Lettres Persanes ; mais je ; regrette de ne pouvoir que signaler en passant, aujourd’hui, le récit, fait par M. Collins, à son point de vue anglais et d’après des documens anglais, de l’un des chapitres les plus mémorables de cet étrange et triste roman qu’a été la vie de Jean-Jacques Rousseau.

M. Collins, comme je l’ai dit, est sans pitié pour le pauvre Jean-Jacques. Il paraît ignorer absolument la campagne de diffamation et de calomnie entreprise, depuis longtemps, par Grimm et ses acolytes, contre un homme dont les idées leur semblaient trop imprégnées de l’esprit chrétien, et dont le génie risquait de nuire à la royauté littéraire de leur maître et secret inspirateur, le « patriarche » de Ferney. Peu s’en faut qu’il n’accuse l’auteur des Confessions d’avoir inventé, de toutes pièces, l’histoire des mauvais traitemens dont il se plaint, pour forcer le public à s’occuper de lui, ou peut-être même, simplement, pour causer de l’ennui à l’excellent David Hume ! Lui qui, quelques pages plus haut, tâchait à excuser la duplicité évidente et les misérables intrigues de Voltaire, dans son admiration pour le zèle du poète de la Henriade à apprendre l’anglais, nous le voyons