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nous possédions à ce sujet est une note du Gentleman’s Magazine de mai 1732, où un rédacteur anonyme, rendant compte de l’Histoire de Charles XII, reproche à Voltaire d’avoir divulgué, dans ce livre, des confidences recueillies durant son séjour à Londres, et ajoute : « M. Voltaire, au reste, s’est comporté chez nous d’une façon si fâcheuse qu’il a fini par ne plus être admis dans les familles nobles qui, d’abord, l’avaient reçu avec empressement. Il a quitté l’Angleterre tout rempli de rancune. »

Mais le plus singulier est que, là-dessus, le journaliste du Gentleman’s Magazine et lord Peterborough se sont trompés. Quels qu’aient pu être les griefs intimes de Voltaire à l’égard de ses anciens amis anglais, pour « la nation et le peuple anglais » l’auteur des Lettres Philosophiques a toujours gardé une sympathie mêlée d’admiration. Il s’est trouvé amené, en vérité, à parler en termes méprisans et haineux de Shakspeare, après avoir été le premier à nous le révéler ; mais sur les écrivains de son temps, sur Pope et Congreve, sur Locke, sur le « libre penseur » Woolston, son opinion n’a jamais varié, non plus que sur la société et les mœurs anglaises, en général. Jusqu’au bout de sa longue vie, cet homme, qui avait laissé en Angleterre un souvenir déplorable, est resté fidèlement, passionnément « anglomane. » « Si je n’avais point fixé le siège de ma retraite dans ce libre coin de Genève, — écrivait-il, trente ans plus tard, à son ami Keate, — certainement je serais allé vivre dans la libre Angleterre ! » Toujours cette « libre » nation, — où d’ailleurs il se souvenait peut-être d’avoir commencé, à la fois, l’édifice de sa gloire et celui de sa fortune, — toujours elle lui est restée aussi chère qu’elle le lui était, déjà, dans les premiers mois de son séjour, lorsqu’il s’amusait à écrire en anglais, pour son confident Thieriot, une lettre dont M. Collins a eu la bonne fortune de retrouver l’original. Voltaire y raconte, d’abord, les désagrémens et l’insuccès final d’un mystérieux voyage secret qu’il a fait à Paris en juillet 1726, et comment, dès son retour à Londres, la banqueroute d’un « juif nommé Médina » l’a dépouillé de tout son avoir. Il célèbre ensuite les vertus du marchand Falkener, ainsi que celles de lord et lady Bolingbroke ; et rien n’est plus amusant que la manière dont, à ce propos, il affirme la rigueur inflexible de ses convictions de « républicain : » « Milord et milady Bolingbroke m’ont offert tout, leur argent, leur maison : mais j’ai refusé tout, parce qu’ils sont des lords, et j’ai tout accepté de M. Falkener, parce qu’il n’est qu’un particulier. — J’avais primitivement l’intention d’imprimer notre pauvre Henri à mes frais, en Angleterre : mais la perte de mon argent met tristement