Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans l’aide de personne ! Aucune autre flatterie n’était mieux faite pour toucher ce public, pour lui arracher de force sa sympathie et sa curiosité. Sans compter qu’il n’est nullement incroyable que Voltaire ait réussi, en effet, à se rendre assez maître de la langue anglaise pour rédiger tout au moins, dans cette langue, un premier brouillon de ses deux essais : M. Collins nous cite, de lui, plusieurs lettres inédites en anglais, qui attestent une connaissance du langage courant tout à fait surprenante chez un étranger. Mais ces lettres mêmes, qui nous dit que Voltaire ne les a pas écrites avec l’aide d’un secrétaire anglais, de ce « maître de langue » dont la présence continuelle auprès de lui a été affirmée de divers côtés ? Et, en tout cas, si Voltaire a rédigé en anglais l’esquisse de son livre, nous pouvons être sûrs qu’il s’est adressé à un Anglais authentique pour corriger ses fautes, mais surtout pour donner à son style cette pureté et cette élégance, cette couleur nationale et locale, que jamais un écrivain ne saurait déployer dans une langue étrangère à moins de s’être assimilé cette langue au détriment de la sienne propre, et d’avoir désormais pris l’habitude de ne penser, ne sentir qu’en elle. Je m’étonne que M. Churton Collins « ait quelque peine à comprendre la cause de l’intempestif éclat de gaîté » par lequel se termine l’anecdote suivante, rapportée dans un recueil anglais du temps : « Voltaire, un jour, étant venu voir le docteur Young, a cru devoir lui soumettre ses essais anglais, en le priant de corriger les fautes trop grossières qu’il pourrait y trouver. Là-dessus le docteur, très honnêtement, s’est mis à l’œuvre, et, d’abord, a noté les passages les plus sujets à critique ; mais quand ensuite, ses notes en main, il a voulu faire part à son visiteur de ses observations, Voltaire n’a pas pu se retenir de lui rire au nez. »

Un mois environ après la publication des deux essais, en janvier 1728, les journaux anglais annoncèrent la prochaine apparition de la Henriade. « La lecture des beaux essais de M. de Voltaire, — écrivait un rédacteur de la République des Lettres, — nous rend bien impatiens de connaître le poème épique de ce gentleman. Celui-ci nous paraît posséder si à fond les meilleurs poètes, anciens et modernes, et se montre si excellent juge de leurs beautés comme de Leurs défauts, que nous avons tout motif d’espérer que sa Henriade sera un ouvrage parfait ; et comme il écrit en anglais avec une élégance et une force extraordinaires, encore qu’il n’habite notre pays que depuis dix-huit mois, nous nous attendons à trouver, dans son poème, toute la beauté et toute la vigueur dont est capable sa langue natale. » En janvier, la publication du poème était promise pour février ; en février, les