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en France, cinq ans auparavant, et qui, sans aucun doute, l’aura tout de suite accueilli dans sa maison de Pall Mall. Mais Falkener, dépourvu de toute influence, ne pouvait servir son jeune ami qu’en mettant à sa disposition sa bourse et sa maison, ainsi que nous savons qu’il l’a fait ; et lord Bolingbroke, d’autre part, récemment revenu d’exil, n’avait de relations qu’avec les tories, tandis que son protégé désirait vivement se gagner des amitiés dans le camp des whigs, alors au pouvoir. Bientôt, probablement par l’entremise de Bubb Dodington, il réussit à se faire admettre chez les ministres, et chez le Roi lui-même, ce qui n’empêchait point le prince et la princesse de Galles de le compter parmi les assidus de leur petite cour, expressément opposée à la Cour royale.

Encore avons-nous lieu de penser que son rôle ne s’est pas borné à répartir impartialement, entre les tories et les whigs, ces marques de vénération et ces flatteries dont l’outrance paraît avoir, plus d’une fois, choqué la brutale franchise des nobles anglais. M. Churton Collins, qui d’ailleurs se montre toujours aussi indulgent pour lui qu’il est sévère et sans pitié pour Jean-Jacques Rousseau, est cependant forcé de reconnaître que son désir passionné de « parvenir » l’a poussé à « employer des procédés dont aucun homme d’honneur n’aurait daigné s’abaisser à faire usage. » Des documens d’une authenticité incontestable nous prouvent, en effet, que Voltaire, à plusieurs reprises, a reçu, de la Cour, de grosses sommes d’argent ; et tout porte à croire qu’il les a reçues en échange de certains services assez répugnans. Sur ce point, les témoignages de Bolingbroke, du poète Young, de Pope, de tous ses amis anglais s’accordent, hélas ! avec ceux d’Horace Walpole, du docteur Johnson, et de l’abbé Desfontaines. « Tout ce que Walpole (le premier ministre) sait à notre sujet, — écrivait Bolingbroke à Swift, le 18 mai 1727, — il le sait par un de ses espions, qui, s’étant faufilé dans l’intimité de ceux qui n’aiment, n’estiment, ni ne craignent le ministre, rapporte à celui-ci non pas ce qu’on lui dit, attendu que personne ne parle plus librement devant lui, mais ce qu’il devine ; » et M. Collins, bien à contrecœur, se voit obligé de « deviner, » et de nous avouer, que cet « espion » de Walpole n’est autre que le futur auteur de Candide et du Dictionnaire philosophique. Car la fâcheuse conduite de Voltaire à l’égard de ses hôtes et protecteurs d’outre-Manche se trouve irréfutablement démontrée, entre autres choses, par une anecdote que le biographe de Pope, Owen Ruffhead, tenait de la bouche de Warburton, intime confident de Pope et de Bolingbroke :