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semble que ces quelques documens nouveaux, s’ajoutant à ceux que nous possédions déjà, auraient eu de quoi nous offrir une image assez exacte et complète du séjour de l’auteur de la Henriade en Angleterre, si M. Collins avait tâché à les interpréter, pour en dégager le sens et la portée véritables : mais le fait est que l’éminent professeur s’en est tenu à les enregistrer l’un à la suite de l’autre, sans aucun effort pour les rendre vivans ; et ainsi je vais devoir, à mon tour, faute de posséder une érudition « voltairienne » suffisante, me contenter de signaler aux lettrés français les principaux résultats de l’enquête consciencieusement poursuivie, depuis vingt ans, par M. Churton Collins, dans les archives publiques et privées de son pays.


Cette enquête aura pour première conséquence de trancher, désormais, toute discussion sur la date de l’arrivée du poète en Angleterre. Voltaire nous raconte lui-même, dans une de ses lettres, que, le jour de son débarquement, il a eu l’occasion d’assister à une manifestation navale en l’honneur du Roi : or, les journaux anglais de la fin du mois de mai 1726 annoncent que, dans tout le royaume, de « grands préparatifs sont faits pour le prochain anniversaire de la naissance du Roi, » c’est-à-dire pour le lundi 30 mai ; et c’est donc ce jour-là que Voltaire a mis le pied sur le sol anglais. Ce jour se trouvait être, de plus, le lundi de la Pentecôte, date où avait bien, chaque année, l’inauguration de la foire de Greenwich ; et Voltaire ajoute précisément, dans sa lettre, qu’il a scandalisé les nobles dames d’un salon de Londres, en leur demandant si elles avaient pris leur part, comme lui, aux divertissemens publics de Greenwich, — ce qui achève d’établir que le début de son séjour en Angleterre a coïncidé avec l’ouverture de ladite foire.

Depuis longtemps déjà, il s’était préparé à ce séjour, dont il avait résolu de tirer tout le profit possible, en toute manière. Non seulement il avait appris l’anglais, au point de pouvoir, très peu de temps après son arrivée, soutenir des conversations, — et même écrire des lettres, — dans cette langue : il avait eu soin, aussi, de se munir de recommandations auprès des représentans de toutes les classes sociales et de tous les partis politiques. L’ambassadeur anglais à Paris, Horace Walpole l’Aîné, avait écrit, en sa faveur, au duc de Newcastle, au comte de Broglie, au trop fameux agent ministériel Bubb Dodington. Personnellement, Voltaire ne connaissait à Londres qu’un honnête marchand de la Cité, nommé Edouard Falkener, et le célèbre grand seigneur et philosophe lord Bolingbroke, avec qui il s’était lié