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sentait tout à fait à l’aise que dans les compositions restreintes. Il était peintre de scènes et de portraits. Il choisissait, pour y déployer toutes les ressources de son pinceau, les tableaux qui appelaient une chaude coloration. Il n’était jamais si heureux que lorsqu’il avait à évoquer un spectacle étrange, étonnant, terrifiant. C’est, une fois, l’ouverture d’un conclave : « Je ne crois pas qu’il y ait eu un conclave plus étrange que celui qui s’ouvrit au lendemain des funérailles de Grégoire XI. » Ce sont, ailleurs, les funérailles d’un pape, celles de Sixte IV, en attendant celles d’Alexandre VI. « Il faut lire, dans le Chroniqueur de Valence, le récit de ces étonnantes funérailles. L’appartement du Pape fut pillé en un clin d’œil par les valets et les prélats. On dut emporter le mort dans sa couverture et une tapisserie arrachée à la porte de sa chambre. » Rappelez-vous, dans Moines et Papes, l’assassinat de Juan de Candia par son frère César, ou celui du mari de Lucrèce, Alphonse d’Aragon, par le même César : ce sont des morceaux achevés. J’en dirai autant de maints portraits ; celui par exemple de Lucrèce Borgia, si différent de l’image accréditée par la tradition romanesque, le portrait d’une Lucrèce en qui tout est fuyant, indécis, timide, l’esprit comme le visage, le caractère avant tout, une cire molle, une esclave gracieuse, très douce, résignée d’avance aux plus navrantes aventures qu’une sorte d’inconscience morale lui rendait moins douloureuses. En regard, il faudrait mettre le portrait de César Borgia, « le démon de la famille. » Aventures et figures, l’écrivain les voulait saisissantes, curieuses, tragiques.

Dans ce goût pour les spectacles dramatiques de l’histoire, dans cette prédilection pour les tempéramens excessifs, dans ces perpétuels retours vers la vie italienne, exaltée tantôt pour son mysticisme et tantôt pour son « énergie » au sens stendhalien du mot, n’y avait-il pas quelque influence du romantisme ? Sans doute. Dans notre XIXe siècle, ceux que le romantisme n’a pas pénétrés, il les a du moins effleurés. Gebhart avait lu Beyle et Michelet. Toutefois, ses instincts d’artiste suffisaient bien à le guider vers des époques et vers des sujets qui offrent à l’écrivain une matière incomparable.

On le voit assez : par une des tendances les plus impérieuses de sa nature, ce savant était un imaginatif. Certes, il surveillait son imagination : elle est, dans ses études historiques endiguée et contenue par les règles mêmes et par la majesté du genre. Ses pages les plus vivantes sont d’un historien exact et scrupuleux. Il s’était cantonné dans un sujet ; il n’en sortait guère, étant paresseux à la manière de certains