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poésie, la piété franciscaine. Un des procédés dont il savait tirer le meilleur effet, consistait à mettre en bonne place un court récit, plein de saveur et de substance, et qui résumait, sous une forme pittoresque, tout un développement théorique. C’est ici le récit de cette nuit de Noël où, dans la vallée de Greccia, saint François convia les paysans et les bergers à méditer et prier avec lui. « Dans la paix de minuit, les bois s’éclairèrent tout à coup de la lueur des torches qui marchaient en hâte vers une étable où saint François attendait, près de la crèche pleine de paille, entre l’âne et le bœuf. Quand tout le monde fut agenouillé, il lut, en sa qualité de diacre, au côté droit de la crèche, comme à un maître-autel, l’Évangile selon saint Luc ; puis il se tourna vers les fidèles prosternés dans l’ombre, et leur prêcha la naissance du Sauveur… Quelques-uns crurent voir, sur la paille de la crèche, un enfant endormi, qui semblait peu à peu s’éveiller et qui ouvrait les bras. C’était, en effet, le Dieu des pauvres que la voix de François tirait d’un bien long sommeil et qui, de nouveau, souriait au fond des consciences. » En pareil cas, le poète prenait la plume à l’érudit : celui-ci aurait été mal venu à s’en plaindre. Le chapitre que je rappelle ici est le meilleur du livre ; mais le livre vaut par l’ensemble et par la composition. L’historien a été pris par son sujet : il a goûté cette joie très haute de suivre une idée dans son développement à travers le temps et dans ses expressions individuelles. Ainsi de Joachim de Flore à Jean de Parme et à Fra Salimbene, il nous fait assister à cette magnifique éclosion de mysticisme, qui nous mène, en s’épanouissant, jusqu’aux poèmes de Dante.

L’Italie de la Renaissance ne l’a guère moins séduit, et il ne s’est pas lassé d’y admirer la vigueur exceptionnelle avec laquelle y a poussé la plante humaine. Dans les Origines de la Renaissance en Italie, il s’est appliqué à démêler les causes multiples du grand fait moderne, et à rechercher, par exemple, pourquoi l’Italie plutôt que la France fut alors l’institutrice de l’esprit humain. C’est qu’en Italie plus qu’ailleurs la liberté intellectuelle trouvait des conditions favorables, et cela dans l’état même de la conscience religieuse : l’état social aidait à l’éclosion de l’individu ; enfin la tradition classique, moins ruinée qu’en d’autres pays par les invasions des Barbares, réalisait d’une façon unique son accord avec la civilisation.

La même étude se poursuit dans le livre sur la Renaissance italienne, mais surtout dans Moines et Papes. Ce très beau livre s’ouvre par un portrait magistral de sainte Catherine de Sienne. On s’est demandé ce qui attirait si particulièrement Gebhart à disserter des