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la main, le col relevé, le cache-nez enroulé plusieurs fois autour du cou, le professeur en vacances, soudain redevenu provincial. Il avait toujours voulu jalousement garder sa place au foyer où il avait grandi, au cercle où il retrouvait de vieilles connaissances, dans les maisons amies où il était le commensal attendu. Ce qu’il allait y rechercher, c’étaient les traditions de famille, — il appartenait à une famille de vieille souche lorraine et qui a sa part dans les gloires de notre pays, — c’étaient les impressions d’enfance et de jeunesse, celles de la sensibilité qui s’éveille et de l’intelligence qui s’ouvre ; c’étaient, entre tant de souvenirs, ceux de l’année terrible, ceux des dernières lignes dictées aux enfans sous la menace de l’ennemi qui approchait, ceux de la « dernière classe. » Et c’était la leçon qui se dégage des choses coutumières, vues depuis toujours et qu’on retrouve toujours les mêmes, la leçon du sol natal. Ceux-là que rien ne parvient à déraciner, à qui ni le labeur de l’esprit, ni les joies de la notoriété ne suffisent, mais qu’une invincible nostalgie ramène dans le cadre où leur personnalité s’est élaborée lentement sous l’action des plus pénétrantes influencés, — vraiment ce sont les meilleurs d’entre nous.

L’esprit de Gebhart fut surtout un produit de notre enseignement classique et il en prouve avec éclat la vertu. Ce sont les humanités qui ont mis sur lui leur empreinte. Dès le collège, ses prédilections intellectuelles étaient fixées. Les régens du temps jadis, où il y avait toujours un peu du bon Rollin, ne faisaient pas seulement comprendre ce qu’ils enseignaient, ils le faisaient aimer. Entre les pages de son Homère, l’écolier, comme c’était alors l’usage, avait rêvé de la Grèce. Il s’y trouva transporté de bonne heure. A vingt-deux ans, il fut parmi les élèves de l’École d’Athènes. L’École, de fondation récente, n’était pas encore ce qu’elle est devenue par la suite. Certes on s’y formait à la science archéologique : Albert Dumont fut un Athénien de ce temps-là. Mais, pour plusieurs, c’était surtout l’occasion d’un beau voyage, une invitation à rechercher, sous le ciel même et dans le pays où elle s’est épanouie, le secret de la beauté antique. Gebhart avait peu de goût pour l’archéologie : il avait la passion du voyage. Je ne doute pas qu’il ne doive à son séjour dans la contrée privilégiée cette initiation intime au génie antique, ce sens lui-même de l’art et ce goût de l’exquis, dont son œuvre personnelle est pénétrée.

Toutefois, le pays où sa curiosité le ramena sans cesse, sa terre d’élection, ce fut l’Italie. Les besoins de son enseignement l’y appelaient, puisqu’il était chargé d’un cours sur les littératures