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droit inéluctable et de ses espérances indéfectibles. Si le roi d’Espagne accorde la Toison d’Or au nouvel Empereur, il renvoie très dignement au Bourbon dégénéré la plaque de l’Ordre. Et en face d’une « usurpation » flagrante du trône de ses pères, en face de l’adhésion qu’y donne le Souverain Pontife, en face des succès de l’ « usurpateur, » il reste le même : il est le même après Brumaire, après le Concordat, après le Sacre, après Austerlitz, après la paix de Tilsitt qui fait de la Russie l’alliée de Napoléon, après le mariage de Marie-Louise qui fait de celui-ci le « neveu de Louis XVI. » Il proteste, il proteste dans le vide, sans se lasser, et, tout en s’enveloppant dans sa dignité royale, il sait être humain, citant ses auteurs favoris sur le mode plaisant, joyeux, goguenard parfois. Il avait lu Horace et retenu le si fractus illabitur orbis… Avec cela il semble que des réveils de patriotisme viennent émouvoir ces gens si aveuglés par leurs passions en 1791 et 1792. Si le Roi apprend qu’on se prépare à reprendre Saint-Domingue sur les noirs, il nous fait entendre des paroles insolites. Il écrit à son frère : « Nous sommes, vous et moi, hommes et Français. Que nous importe la cocarde de ceux qui vont sauver une malheureuse colonie et venger la France et l’humanité de l’incendiaire du Cap ! Donnez-lui l’enfant, mais qu’on ne le coupe pas en deux, s’écriait la véritable mère. »

Ce cri étonne un peu tout en charmant. Il nous permet de penser qu’aux regrets cuisans que lui devaient inspirer les victoires de « l’usurpateur, » se devait mêler une légitime fierté de prince français lorsque, par les étrangers épouvantés, il apprenait quelle valeur dépensaient, sur les champs de bataille de l’Europe, « ses sujets de France égarés. »

« L’héritier de saint Louis n’a pas de quoi vivre ! » écrit Louis XVIII, en 1803. De fait, il lui fallut mendier, porter des « pourpoints » rapiécés, réduire sa table, vendre ses chevaux. « Il faut savoir souffrir, se taire et se grandir de ses propres ruines, » écrivait-il d’autre part. L’Europe lui donna un peu d’argent, et l’Angleterre, lorsque le continent fut définitivement fermé, s’ouvrit à lui sans bonne grâce d’ailleurs. Il s’y installa en 1807 et y passa les sept dernières années d’exil, à Gosfield, puis à Hartwell. Sa femme était morte, et, — ce qui lui était plus