Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/442

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impopularité que signalaient les élections aux nouveaux Conseils. L’émeute de Vendémiaire avait, il est vrai, échoué : les deux tiers de conventionnels imposés au pays allaient former un an la majorité, élire un Directoire jacobin ; mais le pays, que la Terreur avait révolté, allait à la réaction. Seulement il ne voulait qu’une réaction modérée : les outrances des émigrés, leurs paroles violentes, l’intransigeance de la Cour exilée effrayaient. Une agence organisée à Paris eut pour mission d’amadouer quelques leaders dont la modération laissait tout espérer. Subsidiairement, on se mit à tâter « l’infâme Barras. »

Ces combinaisons furent troublées par le plus triste événement. Le gouvernement français avait montré quelque humeur, de voir la république de Venise héberger le « prétendant. » Le Sénat prit peur et signifia au « Roy » qu’il eût à chercher un autre asile. Le 14 avril 1796, le podestat de Vérone transmettait à Louis XVIII cette pénible mise en demeure. Comme toujours, celui-ci fut très digne. C’était bien : il allait faire ses préparatifs de départ. Mais le lendemain, il écrivit au Sénat qu’il entendait rayer de sa main, sur le livre d’or de Venise, le nom de sa famille qui s’y trouvait inscrit et se voir, d’autre part, restituer l’armure dont Henri IV avait fait don à la République : geste enfantin dans sa noblesse. La République ne restitua point l’armure d’Henri IV. Qu’en aurait fait « Monsieur le comte de Lisle ? » Et comme si tout geste noble, — dans ces vies de prince exilé, — devait avoir de pénibles lendemains, il fallut que le « Roy » partît déguisé, parce qu’il était nécessaire de cacher son départ à de trop nombreux créanciers que l’armure d’Henri IV elle-même n’eût point satisfaits.

Depuis trois ans, l’armée de Condé appelait le Roi. Elle s’allait mesurer sous le drapeau autrichien, sur le Rhin, avec « les Français », et son chef déplorait amèrement que le Roi ne parût point parmi ses féaux.

Sans asile, le pauvre monarque dut « gagner les camps » fort à contre-cœur. On l’y vit le 28 avril 1796. Péniblement il se mit en selle, visita les postes, put même interpeller d’une rive à l’autre du Rhin les soldats de la République.

Mais l’Autriche était outrée d’un accès d’héroïsme aussi déplacé. Elle insista pour qu’il prît fin ; elle n’eut pas à insister beaucoup : les républicains passaient le Rhin et faisaient de nouveau reculer l’Europe, — et Condé lui-même. Le Roi faillit