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Ce fut un effarement : les princes, ayant quitté Coblentz, étaient l’un à Liège, le Comte d’Artois, l’autre, le Comte de Provence, à Namur. Mais l’empereur, tous les jours plus hostile, ne les tolérait que provisoirement dans ses États de Flandre, d’ailleurs en péril. Le roi de Prusse leur ouvrit la Westphalie : ils s’installèrent à Ham, pendant l’hiver, dans une maison plus que simple, une « Trappe, » gémissait Artois, qui, évidemment, n’y pouvait plus avoir ni pages, ni mousquetaires. C’est dans cette « Trappe » qu’ils apprirent la mort de Louis XVI. Dès le 28 janvier, le Comte de Provence rédigeait une déclaration au peuple français, — la première d’une longue série, — où il déclarait roi le petit Louis XVII sous sa régence : d’ailleurs, le manifeste était un long défi à la Révolution dont les principes étaient stigmatisés. L’Europe cependant ne semblait nullement disposée à reconnaître dans « Monsieur » le dépositaire légitime du pouvoir. Partout les efforts des envoyés du « régent » furent vains. L’Autriche particulièrement se montra dédaigneuse et le restera ; Monsieur n’y sera jamais reconnu ni comme régent, ni comme roi ; l’Empereur ne répondra jamais de 1793 à 1814, une seule lettre à celles du « prétendant. » Celui-ci d’ailleurs opposait une belle sérénité à ces mécomptes. Il comptait sur la Russie et y dépêcha son frère.

Pour séduire cette terrible Catherine II, sexagénaire encore inflammable, il avait paru que ce beau garçon, toujours souriant, ferait merveille. Elle avait d’ailleurs horreur des Jacobins. Il est vrai que l’entourage d’Artois lui fit une impression fâcheuse. Mais le prince lui parut charmant : elle rêvait pour lui de grands exploits. Il fallait qu’il allât en Angleterre, qu’il se fit donner des vaisseaux, débarquât en Bretagne, marchât sur Paris. Elle lui tint une manière de discours fort impressionnant : « Vous êtes l’un des plus grands princes de l’Europe : mais il faut l’oublier quelque temps et être un bon et valeureux partisan. Par ce moyen, vous redeviendrez ce que vous êtes fait pour être… Allez en Bretagne sans rien attendre des négociations qui se poursuivent entre les puissances et qui font perdre un temps précieux. » En témoignage de sa confiance, l’Impératrice lui remit une épée sur laquelle elle avait fait graver cette devise : Avec Dieu, pour le Roi ! et dont la poignée en or portait, enchâssé, un brillant estimé 40 000 francs. Ce n’est pas avec ces belles épées-là qu’on reconquiert un royaume, mais avec une