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orgueilleuse capitale il ne restera pas une pierre. » Ainsi l’exil faisait divaguer les plus sages, et de meurtrière façon. À Paris, ces paroles couraient les clubs rouges, et faisaient progresser l’influence des violens de l’autre bord.

Le gouvernement français perdant patience fit savoir à l’électeur de Mayence qu’il eût à dissoudre, à Coblentz et ailleurs, ces rassemblemens séditieux : c’était en janvier 1792. L’électeur inquiet fit des semonces, parla d’expulsion. Mais les princes s’en riaient : avant quelques mois on serait à Paris. On avait « décidé » l’Empereur à agir et aussi le roi de Prusse. La coalition se formait : l’armée d’invasion s’organisait sous Brunswick. Condé et ses féaux étaient résolus à marcher à l’avant-garde, le drapeau blanc déployé. Que de phrases grandiloquentes ! Autour de Brunswick, les agens de l’émigration s’agitaient. Le Roi retenu à Paris courait des dangers ; eh bien ! on allait terroriser Paris : ainsi le Roi serait sauvé. Mentalité d’enfans jouant avec le feu. Les émigrés arrachaient au généralissime allemand ce manifeste absurde, incendiaire, criminel que rédigea l’un d’eux, le marquis de Linon. On en sait la suite : Paris exaspéré se révoltant devant les outrages et les menaces, jetant bas Louis XVI, les massacres et la première Terreur.

On sait aussi la suite de la campagne : l’invasion en Lorraine ne rencontrant chez les paysans que haine et rancune, et, après Longwy pris, après Verdun occupé, l’Argonne franchie, la grande reculade de Valmy. Il fallait battre en retraite : Condé furieux devait regagner derechef la frontière, odieux à ses alliés ; la veille de Valmy, Brunswick l’avait mis aux arrêts. Aigris, les alliés s’injuriaient. Les émigrés s’étaient, plus que les étrangers, rendus odieux à leurs compatriotes lorrains, affirmaient les Prussiens. Si l’on eût arboré l’oriflamme fleurdelisé, on se fût fait accueillir, affirmait au contraire le prince de Condé. Au cours de la retraite, les soldats de Condé furent traités en parias, en boucs émissaires. On voulut dissoudre la légion, lui reprendre ses armes. « Il faudra donc les tuer jusqu’au dernier, » s’écria le prince. Ce mot de révolte sauva son « armée » qu’on laissa subsister. Mais les grands espoirs étaient éteints : la République, proclamée à Paris, tenait Louis XVI sous les verrous et menaçait le Rhin.