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Marie-Antoinette, haussait les épaules à ce bourdonnement de mouche du coche ! Le jour où il le croirait bon, il marcherait contre la France, pour servir les intérêts non des Bourbons mais des Habsbourg.

Se morfondant en Italie, le prince regagna Bruxelles. Il y apprit la lamentable aventure de Varennes de la propre bouche du Comte de Provence qui, plus heureux que Louis XVI, avait pu gagner la frontière, et que la politique des émigrés enrôlait décidément. Il avait rejeté la cocarde tricolore et se montra prêt à lier partie avec le bouillant Artois.

Coblentz, centre principal de l’Emigration, les devait attirer promptement. L’Empereur les voyait d’un mauvais œil dans sa bonne ville de Bruxelles et les envoyait in petto au diable, en l’espèce à l’électeur de May en ce grand ennemi de la Révolution, qui leur ouvrit Coblentz. La ville était peuplée de féaux sujets du Roi qui, au témoignage de Choiseul, la « remplissaient déjà de leurs discussions et de leurs querelles. » Leurs duels, leurs galanteries, leurs débats, leurs bons tours scandalisaient les bords du Rhin, de Bâle à Cologne. L’Europe commençait à en montrer de l’humeur. « Ils croient épouvanter, écrivait de Turin Victor-Amédée, à qui ses deux sœurs restaient sur les bras ; ils ne font qu’irriter ceux qu’ils prétendent soumettre. » À Bruxelles le peuple leur avait arraché leurs cocardes blanches ; à Nice comme à Worms, on les dénonçait comme d’insupportables brouillons qui allaient mettre l’Europe en feu.

À Coblentz principalement, ces gens encombrans se déchaînaient, insupportables de jactance, vendant la peau de l’ours dans tous les cafés de la ville. Beaucoup, désargentés, s’étaient mis à travailler. Courageusement, des hommes s’établissaient tailleurs, savetiers ; quelques-uns, décorés de la croix de Saint-Louis, déchargeaient des bateaux. Mais la majorité traînait dans les cafés une vie odieusement oisive, quelques-uns vivant de bons tours qui frisaient l’escroquerie : presque tous indiscrets, fanfarons, gagnant de grandes victoires contre les jacobins entre leurs gobelets de vin.

Sauf que le vin était meilleur, les princes avaient une vie tout aussi vide. Le Comte d’Artois menait grand train : Calonne, imperturbablement, le fournissait d’argent ; cet homme était un