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Ces petits-fils du Béarnais étaient mal préparés aux épreuves et [aux exploits. On n’est pas nécessairement un Bourbon pour descendre de Henri IV, un Capet pour descendre de saint Louis. Le « sang de France » s’est mêlé à ce point que le miracle est qu’il se soit si longtemps conservé. Parmi les sangs étrangers hérités de tant d’aïeules, le sang des Leckzinski a me semble-t-il, joué un rôle bien prépondérant chez les trois derniers Bourbons. Ce gros roi Stanislas, autre prince ballotté par la destinée, mais si philosophe dans le malheur et la grandeur, c’est, plus que le Béarnais, l’ancêtre de ces trois princes. Dans le geste de Louis XVI dévorant de 1789 à 1793 les pires affronts, dans celui de Louis XVIII vidant, le 19 mars 1815, si prudemment les Tuileries ; dans celui de Charles X battant, en juillet 1830, si promptement en retraite, je vois le sang épaissi des Leckzinski. Des Bourbons, il reste les belles paroles, très nobles, utiles pour couvrir la retraite. Louis XVIII et Charles X ne parleront jamais que noblement.

C’était un philosophe que le Comte de Provence. Il croyait peut-être en Dieu, mais moins qu’au droit divin. Fidèle de Voltaire, il était caustique, gaulois, bel esprit, cultivé, disposé à se venger par un bon mot de la destinée et à chercher au besoin leçons et consolations dans Tite-Live et dans Horace.

De complexion peu sentimentale, sauf pour un « ami » qui devait être d’Avaray, puis Blacas, puis Decazes, et à peu près insensible aux charmes des femmes, il était toujours l’homme d’un favori. Plus instruit qu’un pédant d’Université, il n’était point guerrier. Pourquoi l’être ? Depuis deux siècles, le roi de France ne se battait plus aux armées (Louis XIV n’y fit guère que parader) : les descendans de Henri IV ne cessaient d’évoquer dans des phrases superbes l’épée du grand aïeul. « Heureux si je peux tirer l’épée d’Henri IV du fourreau, » écrira encore en 1801 le gros roi Louis XVIII. Elle était bien rouillée, l’épée du grand Henri : il fallait un autre héros pour l’aiguiser. Lorsque, devant des émigrés qu’on veut enflammer, on souhaite à la dynastie dépossédée une nouvelle Pucelle, un des assistans, levant les épaules, dira (car Louis passa par surcroît pour un médiocre époux) : « S’il ne faut qu’une Pucelle, nous en avons deux : la femme du Roi et son épée. »

Intelligent d’ailleurs, discernant parfois les failles qu’on commet autour de lui, voire celles qu’on lui fait commettre, il