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de l’héroïque partisan, vient solliciter à Londres le frère du « Roy. » Le futur Charles X reçoit le « chouan » avec un gracieux sourire, semble consentir. Frotté frémit d’espoir. « Je puis donc avertir mon frère que Monseigneur sera sur la côte à telle époque ? — Permettez, un moment, dit le baron de Roll ; permettez, je suis capitaine des gardes de M. le Comte d’Artois et par conséquent responsable vis-à-vis du Roy de la sûreté de Monseigneur. M. de Frotté répond-il que Monseigneur n’a aucun risque à courir ? — Je réponds que nous serons cent mille à nous faire tuer avant qu’il tombe un cheveu de sa tête ; je ne puis répondre de plus. » Le Comte d’Artois, toujours souriant, fait un geste gracieux, souhaite bon voyage à l’émissaire ; celui-ci ne vient-il pas, dit le prince, de reconnaître le projet de descente comme « impraticable ? » C’était tout juste aussi, « impraticable » que, jadis, pour Henri de Navarre, de forcer la Sainte Ligue à lui rendre son trône. Mais les temps étaient changés, — et les Bourbons.

C’est une précieuse contribution à l’histoire des derniers Bourbons, que nous apporte M. Ernest Daudet. Nul n’a été plus informé que lui. Préparé déjà par de longs travaux sur la Révolution à l’œuvre aujourd’hui terminée, il a reçu de mains généreuses des documens singulièrement édifians : papiers des serviteurs des princes, Blacas, Calonne, dix autres, et, qui mieux est, papiers considérables de Louis XVIII en exil, portefeuille où, à côté des minutes des missives royales, se rencontrent, les inappréciables lettres des correspondans du Roi, princes, agens, ministres, amis. De ces papiers grossis par de consciencieuses explorations d’archives, la lumière jaillit, si éclatante que nul épisode de cette lamentable histoire ne saurait rester dans l’ombre[1]. À peine M. Daudet a-t-il besoin de mettre en valeur ces documens : ils parlent. Ils disent de saisissante façon les prétentions, les fautes, les mécomptes, les misères, les petitesses, parfois, soyons juste, les grandeurs des Bourbons émigrés.

  1. Je ferai à M. Daudet un seul procès : au sujet de son litre. Ce n’est point l’Histoire de l’Émigration qui nous est ici donnée, mais celle de l’état-major de l’Émigration et plus spécialement de la Cour en exil. Et je le félicite de n’avoir pas voulu s’engager dans une entreprise impraticable qu’a tentée ce pauvre Forneron et où il s’est noyé après avoir quelque peu pataugé.