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Mais, comme le zéphyr du revers de son aile
Fermant le frais calice à leur soif le soustrait,
Le caprice nous leurre et la bouche infidèle
Se dérobe à l’amour qui s’y désaltérait.

Malheur à nous ! Malheur ! Si nous ne pouvons vivre
Sans ce regard trop cher et ce baiser de miel ;
Ce double philtre au cœur, qu’un moment il enivre,
N’apporte qu’un enfer sous le masque d’un ciel.


DANS L’ÉTERNITÉ


Au fond noir du passé les principes du monde,
À d’insondables fins soumis,
Débrouillaient leur mêlée aveuglément féconde :
Ils façonnaient la terre, hélas ! où ne se fonde
Nul Éden aux amours promis.

Des monstres au long col rampent, troupeau farouche
De la pesanteur prisonnier ;
L’aile s’ébauche et tend vers le ciel ; elle y touche ;
De l’herbe éclôt la fleur, la fleur devient la bouche,
La femme apparaît, lys dernier !

Nos amours sont sans doute infiniment anciennes ;
Nos âmes ont pris corps cent fois.
Mes yeux cherchent les liens, mes mains cherchent les tiennes,
Et je t’appelle, hélas ! partout sans que tu viennes,
Sans connaître encore ta voix…

Depuis qu’est né l’Amour, j’en ai connu la chaîne,
Le lien caressant, jamais !
À peine, quand l’argile eut pris figure humaine,
Ton âme eut-elle fait de la beauté sa gaine,
Que dans l’inconnu je t’aimais.