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convenu que le parti à prendre dans ce cas ne serait préjugé dans aucun sens. Et, chaque jour, dans ses conversations et dans ses dépêches, Daru préjugeait, selon ses vues personnelles absolument opposées aux miennes, la solution restée ouverte. Il ne communiquait ni au Conseil ni à moi aucune de ses dépêches, aucune de celles de ses ministres à l’étranger. J’étais informé pourtant, et du langage qu’il tenait et de l’effet troublant qu’il produisait en Allemagne. La pensée que je pouvais être considéré comme consentant à continuer la politique de Moustier, de Rouher et de Thiers et à approuver, sous la plume de mon collègue, ces pleurnichemens anticipés sur les conséquences inévitables de faits que nous avions nous-mêmes rendus irrévocables en les tolérant, cette pensée me remplissait de chagrin et de confusion. Puisque, malgré l’accord convenu, Daru propageait ses vues personnelles dans les chancelleries, je me crus autorisé à faire connaître à l’Allemagne entière que ces vues n’étaient pas les miennes.

Je connaissais le docteur Levison, correspondant très intelligent d’un des journaux d’Allemagne les plus répandus, la Gazette de Cologne. Je le fis venir, et, après une conversation avec moi, il rédigea l’interview suivant : « En présence des événemens qui ont eu lieu en Bavière, et des débats récens au Reichstag, on a tenté de représenter le gouvernement français, et en particulier le ministre des Affaires étrangères comme un adversaire résolu de la politique prussienne. Il est intéressant pour l’Allemagne de recevoir un exposé autorisé de la façon dont on envisage la situation en France, dans le monde qui dirige la politique. Il est peut-être utile aussi de ne pas faire mystère de la source d’où proviennent ces communications. On ne pourra pas en contester le caractère authentique, lorsqu’on saura que c’est un membre du Cabinet du 2 janvier qui, non seulement les a faites, mais qui, précisément en raison de ses sympathies pour l’Allemagne, n’a rien objecté à leur publication dans la presse allemande. « Le ministère français actuel, dit cet homme d’Etat important, est animé de dispositions favorables au développement des relations avec l’Allemagne. Je suis un des rares Français qui possèdent une intelligence complète, intime, de l’intensité du mouvement allemand ; mais tous mes collègues ont, en dépit des bruits contraires, prouvé plusieurs fois combien ils étaient eux aussi animés de sentimens bienveillans, non seulement pour l’Allemagne,