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Un abîme éternel, infini, nous sépare.
Ah ! le baume tardif de vos lèvres s’égare :
Plus rien n’y peut fleurir qui n’ait un goût de fiel.

Adieu, laissez mon cœur dans sa tombe profonde,
Mais ne le plaignez pas, car, s’il est mort au monde
Il a fait son suaire avec un pan du ciel.


SEREINE VENGEANCE


Vous qui m’avez, dans l’âge où d’autres sont joyeux,
Fait assez de chagrin pour me rendre poète,
Vous par qui j’ai, dans l’âge où vivre est une fête,
Vu la vie à travers les larmes de mes yeux,

Je ne vous en veux plus : tout finit pour le mieux ;
Voilà que l’avenir à me venger s’apprête :
La fleur se fane au vol des jours que rien n’arrête,
La gloire éclôt et dure en d’immuables cieux !

Pour mon âme autrefois vous seule étiez le monde,
Mais j’ai plongé depuis dans l’Infini la sonde,
Et mon âme se mêle à l’immense univers ;

Et, tandis que les ans vous révèlent les peines,
Le temps, qui fonde un socle à la beauté des vers,
Balaiera votre forme, avec les formes vaines.


CONTRASTE


Ce pauvre a végété comme une ortie immonde,
Sans mère ni soleil, méchant, triste et battu,
Sans jamais soupçonner qu’il existât au monde
Quelque chose ayant nom l’amour et la vertu.