Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/403

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le portrait d’un collectionneur par l’excellent coloriste qu’est M. Garrido (salle XVI, n° 491) et le jeune homme aux grands lévriers, sur un haut plateau, dans le vent, de M. Bernard Boutel de Monvel (salle X, n° 144) montrent chez leurs auteurs des qualités très fortes quoique dissemblables, sinon de portraitiste, du moins de peintre de figures. Au Salon des Champs-Elysées, le Portrait de M. Henri Rochefort par M. Marcel Baschet est certainement l’ouvrage le plus consciencieux, le plus solide et le plus complet que la peinture de portraits ait produit depuis bien des années. Sans doute on pourrait dire de cet artiste, ce que Préault disait, d’un grand maître de son temps : « qu’il manque un peu d’inquiétude, » mais l’inquiétude est une position bien fatigante à la longue, surtout quand jamais rien n’arrive, et depuis tantôt vingt ans que les prophètes du « modernisme » mettent en demeure les artistes de nous révéler des « âmes, » nous nous estimons heureux, lorsqu’un bon peintre, qui sait son métier, nous montre bien dessiné, bien modelé et installé dans l’espace, vivant et respirant, d’une couleur juste et d’une valeur exacte, un masque ou un visage. Et c’est ce que fait M. Marcel Baschet.

On doit dire la même chose de M. Bonnat, en qui le Portrait de M. Daniel Guestier montre un œil toujours aussi sûr et une main qui n’a pas faibli. Lui, non plus, M. Bonnat ne nous fait pas de surprises, ni ne nous propose d’énigmes. Les noms de ses portraits ne sont jamais que des prénoms : leur nom de famille à tous est Bonnat. Son art parfaitement clair, équilibré quoique puissant, toujours égal, ne peut attirer les chercheurs de « frisson nouveau, » dont l’admiration commence au point exact où leur compréhension finit. Mais quiconque a le moindre soupçon des difficultés de l’art de peindre admire en lui l’honnête ouvrier qui n’en esquive aucune et les résout toutes, qui ne remplace pas une main par une théorie, ni un raccourci par un nuage, et qui, aujourd’hui, comme il y a trente ans, parvient à donner à toutes ses figures la vie, — la vie sans phrases.

A des degrés divers, plusieurs artistes des Champs-Elysées résolvent heureusement le même problème. C’est M. Faurie avec le consciencieux et rigoureux Portrait de M. Louis Havet ; c’est M. Dawant, avec le Portrait de M. H. S… ; c’est M. H. G. Rivière avec le portrait saisissant de Miss Geneviève Ward ; c’est M. Lawton Parker avec le portrait très creusé de M. N. W. Harris ;