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Jean-Baptiste ou le bras de sainte Catherine ou « l’un des deniers dont Notre-Seigneur fut vendu. » Il est édifié.

Il est édifié, mais il n’a rien ressenti. Il n’a point éprouvé ce calme bienfaisant qu’apporte aux nerfs le rythme des belles lignes vivantes de cette vie supérieure que doit donner l’artiste. Nous entendons bien qu’un tel morceau n’est pas fait pour la foule : mais pour qui est-il fait ? Et qu’elle est incapable de s’y intéresser : mais pourquoi le lui montre-t-on ? Si c’est là un morceau d’atelier, une étape en vue de quelque œuvre future, que fait-il au milieu du Grand Palais qui n’est pas un atelier, mais le lieu le plus public du monde et où connaisseurs et profanes s’attendent à trouver, non les péripéties d’une conception d’art, mais son dénouement ? Si c’est le dernier état de la statue, ses multiples amputations n’ont rien du tout d’admirable. Il est de beaux débris, mais il faut les laisser faire et patiner à la Nature, et c’est sur elle un étrange empiétement que de créer des ruines. Il est de beaux bustes, mais un visage n’a besoin ni de bras, ni de jambes pour expliquer, justifier ou compléter son mouvement ou son expression, tandis qu’un torse les exige. De toute façon, le profane qui ne comprend rien au plâtre de M. Rodin est excusable, et les raisons qu’on lui donne d’admirer valent moins encore que l’objet offert à son admiration.

Si cette longue station dans le vestibule, dès l’entrée du Salon, ne paraît pas inutile, c’est qu’elle nous permet de noter deux tendances caractéristiques de notre temps. D’abord, il est nouveau, dans l’histoire des artistes, qu’ils présentent au public des figures volontairement inachevées ou manifestement incomplètes. Quelle que fût la fantaisie des maîtres de la Renaissance, je doute que les érudits trouvent chez eux un seul exemple d’une action semblable, lorsque quelque circonstance imprévue ou force majeure ne venait pas les y contraindre. Le second trait caractéristique de notre temps est notre croyance bénévole à l’infaillibilité de l’artiste. La racine de cette croyance est respectable. Quand le créateur d’œuvres aussi puissantes que le furent celles de M. Rodin nous propose un nouvel aspect de son art, il y a présomption en sa faveur, et si l’on n’est point frappé tout d’abord des vertus de son œuvre, on doit, non pas décider, incontinent, qu’elles n’y sont point, mais s’en prendre à soi-même de sa propre paresse à les y découvrir. Mais il faut se garder, aussi, de croire qu’il n’est point, dans une longue carrière, de