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merveilles » serait non seulement une inconvenance, mais une injustice, car l’imprésario de la Comédie n’avait jamais produit de merveille, quelle qu’elle fût, et M. Rodin est l’auteur des plus puissantes figures, peut-être, de la statuaire contemporaine : l’Age d’airain, le Jean-Baptiste, le Baiser, le Penseur, les Bourgeois de Calais et d’admirables bustes. Mais la foule qui entre au Grand Palais par la porte de l’avenue d’Antin et qui trouve au milieu du hall, à la place d’honneur du Salon de sculpture, le magma de plâtre intitulé Triton et Néréide, ressemble de tout point à la foule espagnole. Elle tourne autour de cette chose proposée à son admiration et n’y voit rien du tout. L’obscur sentiment qu’elle a de la justice distributive lui fait souhaiter quatre bras et autant de jambes à deux torses malaisément aperçus et sous deux visages laborieusement discernés, comme le touriste discerne, suggestionné par son guide, une figure de roi ou de vieille femme dans le profil d’un rocher. Mais cette investigation reste vaine et le regardant, fort empêché de trouver là ce qu’il considérait jusqu’ici comme le plus nécessaire à l’humanité pour se mouvoir et faire des gestes, demeure quinaud.

Toutefois, comme on lui dit que le « Torse » du Vatican n’en a pas davantage et que les « bustes » de partout en ont encore moins et qu’on les admire ; comme le Niobide de Subiaco a perdu beaucoup de ses agrémens dans d’inexplicables bagarres et puisqu’il est rare de trouver sur les métopes du Parthénon un Lapithe et un Centaure congrûment aux prises avec toutes les armes que la nature leur a données, sans que ces diminutions, à première vue déplorables, enlèvent rien, si même elles n’y ajoutent, à la piété des archéologues, le spectateur s’étonne de ne s’être pas avisé de tout cela plus tôt. Il sent qu’il a fait fausse route en cherchant à ces culs-de-jatte des superfétations frivoles. Il s’excuse d’avoir voulu juger avec ses yeux, et mis à l’épreuve de ses sensations ou de sa raison ce dont la foi seule doit décider. Il continue à ne rien comprendre, mais il comprend qu’il est bien qu’il ne comprenne point et que le mal serait justement qu’il comprît autre chose que le devoir de ne comprendre rien du tout. Il craint de s’être fourvoyé, en impie, dans quelque cérémonie du culte des reliques et s’en va, sans bruit, soupçonnant qu’à défaut de beauté sensible, il y a une vertu mystérieuse dans ce plâtre, comme le pèlerin du moyen âge, visitant l’île de Rhodes, en imaginait dans le doigt de saint