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termes de l’Acte de Berlin, qui avait proclamé la liberté commerciale, il réclama la reprise immédiate du Congo par la Belgique. Après de longues, discussions qui eurent un écho retentissant dans la presse et au Parlement, on aboutit à une transaction : les compagnies (autrement dit le trust du colonol Thys) obtinrent leur part, « un os à ronger, » et la presque totalité du territoire fut exploitée directement par l’État ou par les sociétés nouvelles auxquelles l’État accorda des concessions. En effet, de par la raison du plus fort, la majeure partie du sol a été déclarée terre vacante ; l’on n’a laissé aux indigènes que l’utilisation des parcelles qu’ils possédaient et cultivaient à la date du 1er juillet 1885, c’est-à-dire à une époque où la majeure partie du Congo n’était pas explorée. Encore ne peuvent-ils disposer des produits de leur récolte que dans la mesure où ils en disposaient, à cette date ; or, à la suite d’une enquête menée en 1893-1894 par les agens de l’État, — partie intéressée dans la question, — il a été déclaré qu’on ne pouvait relever, chez les indigènes du Haut-Congo, une exploitation commerciale du caoutchouc, sauf dans une région où l’on s’est arrangé depuis pour les empêcher de vendre à d’autres qu’à l’État. Les nègres ont donc été réduits à l’état de servage sur leurs propres terres et parqués dans des espaces restreints. Du jour où le Congo s’est trouvé constitué en « État indépendant, » la population a été comme immobilisée dans sa situation économique. Elle ne faisait pas de caoutchouc avant 1885 ; elle aurait sans doute appris, depuis, la valeur commerciale de cette plante. Peu importe ! puisqu’elle l’ignorait avant le 1er juillet 1885, elle a perdu à tout jamais le droit de l’exploiter.

C’est ainsi que le roi Léopold est devenu le plus grand marchand de caoutchouc et d’ivoire, comme aussi le plus grand propriétaire foncier qui ait jamais existé.


L’immense territoire composé de toutes les terres déclarées vacantes en 1892, — c’est-à-dire à peu près tout le Congo, — pouvait se diviser, jusqu’à ces derniers temps, en trois parts[1] :

1° Le Domaine privé, érigé depuis 1900 en domaine national, d’où le souverain tire les revenus affectés aux dépenses publiques ;

  1. Il y avait aussi naguère une zone réservée qui a été englobée, en 1906, dans le Domaine national.