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(par là il faut entendre l’armée indigène formée sous la direction d’officiers européens, belges pour la plupart) rencontrèrent les Arabes qui, venus de Zanzibar, s’étaient installés depuis près d’un demi-siècle dans la région située entre le lac Tanganika et le Congo, pour y faire le trafic des esclaves et de l’ivoire qu’ils écoulaient à Bombay et à Liverpool. Tôt ou tard la lutte devait s’engager entre les deux influences qui se disputaient le pays. Les Belges essayèrent pourtant de composer avec leurs adversaires, et ce n’est pas sans surprise qu’on apprit un jour que le célèbre négrier musulman Tippo-Tip, passé au service de l’Etat indépendant, avait été nommé gouverneur des Falls à la condition d’évacuer par la côte occidentale tout l’ivoire qu’il dirigeait autrefois sur l’océan Indien. Ce modus vivendi ne put se prolonger longtemps. Si Tippo-Tip resta fidèle à ses engagemens, d’autres chefs se révoltèrent ; en 1892, le massacre de M. Hodisler et de ses compagnons, agens du syndicat commercial du Katanga, amena la guerre ouverte et, à partir de ce moment, des expéditions, sous la conduite d’officiers intrépides tels que Dhanis, van Kerckhoven, Stairs, van Gèle, furent vigoureusement menées contre les Arabes qui, après une résistance de plusieurs années, finirent par être exterminés ou expulsés du pays.

Maître du territoire jusqu’au lac Tanganika, l’État indépendant allait se rendre possesseur de tout l’ivoire et du caoutchouc qui constituent la richesse de cette immense région. Mais Stanley avait déclaré, dès le début, que « sans un chemin de fer, il ne donnerait pas un penny du Congo. » Le grand fleuve dont il avait révélé le cours aurait été une voie de transport toute trouvée si, à 160 kilomètres de la côte, la navigation n’était interrompue par une série de 32 cataractes, barrière qui avait arrêté les efforts de tous ses devanciers. Il fallait une voie ferrée pour tourner cet obstacle : l’étude en fut entreprise sous la direction de l’énergique capitaine Thys. Les travaux commencèrent en 1890. Nul, au début, ne se doutait de la dépense que nécessiterait pareille entreprise dans un pays dénué de toute ressource. On avait calculé que le kilomètre de voie ferrée coûterait 60 000 francs. Or, en juin 1892, à peine parvenait-on au neuvième kilomètre et déjà l’on avait dépensé 11 millions et demi. Un grand nombre de travailleurs étaient morts à la peine, les autres s’étaient sauvés sur le territoire portugais pour ne pas subir le même sort. On juge de l’effet que produisirent ces nouvelles en