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Si la Prusse désarmait, lui garantirait-on sa situation acquise ? »

Daru interrogea Fleury sur la maladie du Tsar et sur les dispositions du tsarewitch. Fleury répondit que si le Tsar disparaissait, Bismarck « aurait raison de se défier des sentimens du tsarewitch, peu tendre envers la Prusse et qui représente ce qu’on appelle le parti russe, c’est-à-dire le parti anti-allemand et anti-étranger, et que son mariage avec la princesse Dagmar fait un représentant passionné de la cause du Danemark ; mais le Tsar, malade par suite de l’opération d’une hernie, non seulement était maintenant très bien portant, mais n’avait jamais déployé une plus grande activité de corps et d’esprit. » L’empereur de Russie se montrait en effet en public tel que le décrivait Fleury. Ceux qui le fréquentaient dans l’intimité le voyaient souvent en proie à des accès d’humeur sombre et à des crises nerveuses inquiétantes. Et à cet égard Bismarck disait vrai.

Quoique Benedetti n’eût pas été mis dans le secret, il fut informé par l’ambassadeur d’Angleterre à Berlin et il ne laissa pas ignorer à Paris combien nos démarches seraient stériles ; « Durant le règne actuel on n’obtiendra de la Prusse aucune concession propre à atténuer la puissance de l’armée[1]. » Cette négociation peu pratique s’en alla en fumée. Il n’en resta que la promesse faite par nous à Clarendon de réduire notre contingent annuel de 10 000 hommes.


IX

Daru n’avait plus qu’à se tenir tranquille et à regarder ce qui se passait en Allemagne en n’exprimant aucune opinion et en prescrivant à nos agens de n’en manifester aucune. Il ne sut pas se résigner à cette abstention : ne pouvant pas agir, il parla, il enfla même la voix, et le moindre incident de la politique prussienne motiva une dépêche. Sans charger Werther ni Benedetti d’une communication à Bismarck, il exprima à titre d’information personnelle son opinion sur le discours du Roi à l’ouverture du Reichstag : « Toute la portion du discours royal relative aux rapports de la Confédération du Nord avec le Sud donne au discours un caractère à la fois embarrassant pour les souverains et menaçant pour les peuples. Nous avions été

  1. De Benedetti, 14 janvier et 8 mars 1870.