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l’Afrique australe, figurées alors dans les atlas sous le nom de terres inconnues, et il s’intéressait au mouvement qui portait vers le continent noir des explorateurs alors uniquement guidés par l’amour de la science ou par la soif de l’évangélisation. Monté sur le trône (décembre 1865), Léopold II poursuivit son idée et déploya, dans l’exécution de son plan, une habileté et une ténacité merveilleuses.

Toutefois, ce plan, qu’héritier de la couronne il avait laissé pressentir dans des exposés où l’on croyait voir les chimériques rêveries d’un adolescent, le roi des Belges a pris soin de le tenir dans l’ombre. Au mois de septembre 1876, alors que les premiers récits de Stanley, ceux de Cameron et la publication du journal de Livingstone commençaient à passionner le public, il réunit à Bruxelles une quarantaine de géographes et de voyageurs de différens pays et les entretint de l’utilité qu’il y aurait à coordonner leurs efforts pour résoudre le problème africain, arracher les nègres à l’esclavage et « ouvrir enfin à la civilisation la seule partie de notre globe où elle n’ait pas encore pénétré. » Repoussant bien loin toute vue égoïste et ambitieuse, il déclarait « la Belgique heureuse et satisfaite de son sort. Si, disait-il, j’ai proposé cette réunion à Bruxelles, c’est qu’il m’a semblé qu’un État central et neutre serait un terrain bien choisi et que je serais heureux de voir Bruxelles devenir, en quelque sorte, le quartier général de ce mouvement civilisateur. » Langage habile, fait pour endormir les méfiances, car de ce modeste congrès géographique sortira en 1885, après diverses étapes[1], l’État indépendant du Congo, et l’entreprise internationale, qui affichait au début les allures d’une croisade, deviendra une fructueuse entreprise commerciale, — purement belge ou du moins, jusqu’à nouvel ordre, léopoldienne, — accaparant toutes les richesses des territoires où elle s’est installée.

Pour arriver à un but aussi pratique, — que seul peut-être il avait entrevu d’avance, — le roi Léopold trouva, à point nommé, l’homme qui lui était nécessaire et l’on se rappelle comment il utilisa les découvertes et la personne même de Stanley.

Nous n’avons pas à raconter ici l’odyssée du grand explorateur ni la façon dont il préluda à l’occupation du Congo au nom du Comité d’Études fondé par le roi des Belges. Les

  1. L’Association internationale africaine (1877) ; le Comité d’études du Haut-Congo (1878) ; l’Association internationale du Congo (1882).