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obligatoire n’en eût pas été faussé, puisqu’il reprendrait toute son amplitude en cas de guerre et que, même en temps de paix, il resterait toujours vivant dans sa conséquence la plus essentielle : l’interdiction du remplacement. On pouvait encore donner une indication des tendances pacifiques par l’augmentation des congés. Seulement cette mesure n’eût pas constitué un désarmement organique sérieux, entraînant une diminution assurée du fardeau militaire des peuples européens. Le chiffre des effectifs comparé était discutable, l’axiome que la Prusse n’était pas conquérante inattendu : te Sleswig, la Hesse, Francfort, auraient pu dire ce qu’ils pensaient de cette affirmation… La seule raison véritable du refus, Bismarck ne pouvait pas la donner : c’est que l’on ne désarme pas quand on travaille sans relâche à faire éclater une guerre.

Daru ne se laissa pas rebuter. Il considéra presque comme un succès que le chancelier prussien eût paru accepter l’entretien. Dans une note à Lyons et dans une dépêche à La Valette (13 février), il combattit les objections de Bismarck, pria Clarendon de ne point se décourager et de revenir à la charge, et, pour appuyer cette nouvelle tentative par un argument nouveau, lui promit que nous prendrions l’initiative d’une réduction de 10 000 hommes sur notre contingent annuel. Neuf contingens réduits de 10 000 hommes font 90 000 hommes. « Peut-être alors, disait Daru, M. de Bismarck craindra-t-il de rester le seul en Europe à ne rien accorder à l’esprit de paix et à donner ainsi des armes contre lui à tout le monde et surtout aux populations accablées sous le poids des charges militaires. » La réponse de Bismarck à la nouvelle communication fut encore négative. Il se retrancha cette fois dans des considérations auxquelles Clarendon était loin de s’attendre : « Ce serait en vertu de préoccupations que lui inspirait la Russie plus encore que la France, que la Prusse ne pouvait pas consentir au désarmement. L’état de santé de l’empereur de Russie causait de sérieuses inquiétudes et le tsarewitch était loin d’avoir à l’égard de la Prusse les sentimens de son père. La prudence faisait donc au Cabinet de Berlin une loi d’être toujours prêt du côté de ses frontières orientales. Il fallait prévoir aussi une alliance de l’Autriche avec les États du Sud. La France également pouvait avoir des velléités d’agrandissement : elle a voulu un instant le Luxembourg, elle peut songer à d’autres acquisitions.