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diplomatiques. Le récit qu’on lui fit d’un projet du prince Pierre d’Oldenbourg de conseiller au roi de Prusse l’initiative d’un désarmement général, lui suggéra de réclamer lui-même cette mesure généreuse. Il demanda à l’Empereur son autorisation : « Je ne veux pas, lui répondit l’Empereur, faire une démarche directe ; je l’ai tentée en 1863 ; elle n’a pas réussi ; je ne m’oppose pas à ce que vous en tentiez une par l’intermédiaire de Clarendon que je sais très favorable à cette idée. » Daru me demanda aussitôt ce que je pensais de son projet. Je lui avouai que je ne lui croyais pas la moindre chance de succès, mais qu’il n’y avait nul inconvénient à donner ainsi un nouveau gage de nos intentions pacifiques.

Il s’adressa à Clarendon. Le ministre anglais se montra cordial et empressé : « On connaissait en Prusse, dit-il, ses convictions quant à la nécessité d’un désarmement. Il en avait causé très longuement, l’été dernier, avec le prince royal, qu’il avait trouvé dans les mêmes sentimens ; mais il savait aussi que ni le Roi, ni M. de Bismarck ne pensaient de même. Il ne pouvait donc se faire beaucoup d’illusions sur le résultat de ses démarches, mais il risquerait volontiers un « mub, » une rebuffade pour une aussi bonne cause (27 janvier). » Daru n’eût pas craint que Clarendon « eût recours à une dépêche officielle dès le début, parce que ces documens peuvent recevoir devant le parlement une publicité que les pièces d’un caractère purement officieux ne comportent pas, et que cette publicité aurait pour nous de grands avantages. Le refus que l’on peut être tenté de nous opposer sera plus difficile, s’il doit être connu. Il faudrait se résigner alors à prendre vis-à-vis de l’Europe et de l’Allemagne la responsabilité d’armemens qui ne sont agréables à personne. Il faudra écrire qu’on veut rester armé et qu’on le veut seul. C’est un embarras dont il pourrait être habile de ne pas délivrer le chancelier fédéral (1er février). »

Clarendon observa qu’une telle manière de procéder aurait les plus graves inconvéniens et pourrait amener immédiatement la perturbation belliqueuse qu’on voulait conjurer dans l’avenir : « Il ne parlerait qu’en son nom et d’une manière tout officieuse ; et il attachait la plus grande importance à ce que rien ne transpirât dans le public (28 janvier-16 février). » Daru, convaincu, n’insista pas sur sa première suggestion, et, afin que le secret fût mieux gardé, en dehors des deux ambassadeurs et