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J’accepte l’état territorial de la Prusse, tel qu’il est, mais je vous prie de suivre d’un œil attentif tous les incidens qui pourraient se produire du côté de l’Allemagne du Nord, et je prendrais au besoin les résolutions que me paraîtrait commander le rôle qui appartient à un grand pays comme le nôtre ; je n’irai volontairement au-devant d’aucune complication. Mon ambition, en ce moment, se réduit à ne pas laisser se modifier, au détriment de l’Empereur et de mon pays, la situation générale que je trouve établie, et à suivre la marche des choses et des esprits attentivement. Vous m’écrivez que M. le comte de Bismarck veut la paix et ne songe qu’à fortifier sa position dans le Nord et à resserrer le lien de la Confédération. Je ne lui créerai pas d’autres embarras que ceux pouvant résulter du spectacle de la France devenue libre, d’un parlement discutant les intérêts publics, d’un gouvernement constitutionnel fonctionnant régulièrement. Cet événement pourra avoir son retentissement en Allemagne. Il pourra se faire que le chancelier fédéral s’en ressente, éprouve quelques difficultés intérieures ; il ne pourra pas s’en plaindre : ce sera là ma seule manière de réagir contre l’accroissement de territoire que la conquête lui a donné. L’intérêt évident de la Prusse est de vivre en bonne harmonie avec la Russie. Je ne m’étonne pas qu’un accord, qui est ancien et commandé par la situation de ces deux États, se manifeste par des actes politiques un peu éclatans en certaines occasions, je n’en prendrai point ombrage pourvu que ces manifestations ne soient point trop bruyantes ni trop répétées et ne prennent pas un caractère tel que je sois obligé de m’en apercevoir[1]. » Napoléon Ier n’eût point parlé autrement.

Les mêmes instructions, sous des formes à peu près analogues, furent envoyées à Cadore, à Munich, et à Saint-Vallier, à Stuttgart. Et dans celles à nos ministres du Sud, il était spécifié que ce n’était pas seulement le passage matériel du Mein qu’il considérait comme contraire à l’intérêt français : il repoussait non moins catégoriquement, au même titre, ce qu’il appelait le passage moral, c’est-à-dire « l’ingérence dans les affaires des États du Sud en vue de pousser à l’unification[2]. »

Mais Daru éprouvait lui-même les ardeurs, qu’il réprimait chez ses ambassadeurs, de se distinguer par des exploits

  1. Lettre confidentielle de Daru à Benedetti, du 17 janvier.
  2. Daru à Tiby, 8 mars.