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détails importans. Il ne m’en instruisit qu’après les événemens. « Pourquoi, lui demandai-je, ne m’avez-vous point parlé de ce traité et de ces lettres ? — Parce que l’Empereur s’était réservé de les communiquer lui-même au Conseil. S’il avait voulu vous les cacher, je m’y serais opposé, mais je ne pouvais lui refuser de vous les révéler au moment qu’il jugerait opportun. » Ce silence de l’Empereur s’explique-t-il par un manque de confiance envers son Cabinet, qui, à cette époque, aurait envahi son esprit ? Haussmann a raconté dans ses Mémoires[1] que, le 13 juin, il aurait eu à Saint-Cloud, dans le parc, après le déjeuner, un entretien confidentiel avec Napoléon III. « Voici, dit-il, la première parole de Sa Majesté dont je restai comme suffoqué, ne m’attendant à rien de tel : « Je veux changer mon ministère. » Puis, afin de répondre à ma surprise ébahie, l’Empereur ajouta : « Oui ! jamais je n’avais supposé qu’il pût exister des incapacités pareilles à celles qui le composent. — Il faut, continua-t-il, que nous fassions un grand ministère ensemble, à la fin de la session. — Votre Majesté entend donc, dis-je, changeant du tout au tout l’orientation présente de sa politique intérieure, remplacer l’Empire libéral par l’Empire Libéral autoritaire ? — Oui, me déclara l’Empereur en accentuant fortement cette affirmation. L’expérience que je viens de faire, ajouta-t-il, prouve que, chez nous, pour être respecté, le pouvoir doit être un et fort. » D’accord sur tous les points essentiels, nous demeurâmes d’opinions différentes, quant au moment opportun de la véritable révolution administrative et gouvernementale, de l’espèce de coup d’Etat dont il s’agissait : « Je veux attendre la fin de la session et le départ des députés, » répétait l’Empereur. Lorsque je quittai l’Empereur, après notre entretien à Saint-Cloud, l’Impératrice me fit appeler. De ce qu’Elle daigna me dire et me recommanda, j’emportai l’impression que Sa Majesté connaissait, tout au moins, l’intention arrêtée, chez l’Empereur, de changer son ministère, et que, pour des raisons que j’ignore, elle n’était pas contraire à l’ajournement de ce grave projet. Toutefois, j’ai pu me tromper. »

Si ce récit était vrai, si après m’avoir donné tant de preuves de confiance et d’amitié, si, au moment même où il m’écrivait pour me remercier « de mon talent et de mon dévouement, » il

  1. T. II, p. 565.